Dans le monde, les survivants qui avaient échappé aux éboulements et à la fusion devenaient nomades, marchant chaque jour pour assurer leur survie. Les vieux et les plus jeunes mourraient de maladie, de fatigue, de vieillesse, de blessures mais la plus part du temps sous la main de l’épée ou du fléau de l’un de ces monstres, seuls les forts demeuraient.
Les assauts des cavaliers se faisaient plus faibles au fil des jours. A quoi bon poursuivre des êtres qui mourront dans les jours suivants ?
Il montaient déjà des camps de terre et de pierre, plus solides les uns que les autres, et commençaient à exploiter les terres. Chaque homme qui survivait redoublait de prudence pour se cacher.
Des milices à pieds se déployaient sur les terres, forçant tout être vivant à se déplacer. Les humains se regroupaient en clans, récupérant des membres chaque jour.
Lorsqu’ils se croisaient ils se donnaient des nouvelles de chaque coin de France ou plus loin, car certains n’avaient pas cessé de marcher depuis le Jour. Le jour ou cette apocalypse avait eu lieu.
La fin du règne humain.
Kaelith était l’un d’entre ces survivants. Il menait son groupe à présent de vingt cinq personnes à travers la forêt, car les plaines étaient trop dangereuses. Il était chef car c’était à lui que la jeune femme avait parlé. C’était grâce à elle qu’il en savait autant sur les Autres.
Tous le respectaient car c’était en lui qu’elle avait eu confiance, Elle, Dainsleifin. C’était lui qu’elle avait admiré, qu’elle avait honoré de sa présence durant une nuit entière, lui contant tout ce qu’elle savait, tous les mystères qu’Al Hataal lui avait révélé.
Et pardessus tout, certains membres du groupe avaient été prévenus par des connaissances de la jeune femme, qu’elle avait elle-même appelé. Le jeune homme marchait en tête de file, à un rythme soutenu, épuisant rapidement les troupes mais au moins avançant au maximum vers le sommet. De là il pourrait Les voir arriver.
C’était ce qu’Elle lui avait conseillé.
Jusqu'à ce jour elle semblait être la première à avoir résisté, la première a avoir organisé le sauvetage d’une partie de la population par ses appels. Elle semblait être l’une des seules avec lui à avoir combattu et tué des Autres.
Il sourit en posant le pied sur une pierre recouverte de mousse humide.
« Il faut être fou, ou totalement stupide pour les affronter ».
Mais grâce à cela, elle était vue comme une force inaccessible, celle qui avait tué un ennemi, capturé sa monture ainsi que son arme, celle qui résisterai coûte que coûte, elle répandait un espoir puissant tout autour d’elle.
Certains des nouveaux du groupe l’avaient croisée avant d’arriver, fière, dressée sur son étalon, l’air souffrante mais pourtant décidée à aller jusqu’au bout. Elle leur avait donné la direction de Kaelith, elle savait qu’il les protègerait autant qu’il pourrait. Le groupe atteint le sommet en fin d’après midi.
Le soleil n’était pas encore couché. Kaelith ordonna aux plus faibles de se reposer pour l’instant, et partit avec le jeune homme qui l’accompagnait depuis un moment maintenant, celui au sourire Colgate, qui avait également rencontré Dainsleifin. Il s’avérait être un bon compagnon, solide et résistant. Ils s’éloignèrent tous deux faire le tour de terrain, pour le sécuriser un minimum.
–Kaelith ?
–Oui Saen ?
–Elle va revenir tu crois ?
–Qui ça ?
–Elle…
-Elle nous l’a promis, laisse faire le temps, si elle ne revient pas tout de suite c’est qu’elle a des choses à faire.
–De toute manière nous pouvons nous débrouiller c’est ça ?
-Oui c’est ça.
Ils s’entendaient de mieux en mieux, Kaelith posa la main sur l’épaule de Saenwë, il semblait si nerveux, triturant ses jolies mains, fixant le sol les yeux inquiets. Il soupira et s'approcha de lui.
–Viens là.
Le chef prit le plus petit dans ses bras, le serrant fort contre lui, à la plus grande surprise de Mae, qui s’attendait à tout sauf à ça. Il resta figé, mais quand il sentit Kaelith se reposer sur ses épaules il se détendit et lui rendit son étreinte.
Le soleil se couchait et rendait tout le paysage presque magique. L’instant l’était déjà mais à présent ça en devenait féerique tant c’était beau.
Saen cacha son visage dans la chevelure de son vis-à-vis.
–J’ai peur d’Eux Kaelith…
-Ca va aller Saen, ça va aller…
Il caressait ses cheveux châtains qui tombaient sur sa nuque, ils sentaient encore le lit d’aguilles de pin sur lesquelles ils avaient dormis la nuit passée. Un parfum frais, rehaussé par la chaleur qui se dégageait de son corps. Ils restèrent quelques minutes l’un dans les bras de l’autre, profitant simplement de cet instant qu’ils ne pourraient certainement pas reproduire à cause des obligations de Kaelith en tant que chef.
Soudain ce dernier se dégagea brutalement des bras de Saenwë, qui parut plus que surpris, déçu, et mal à l’aise une fraction de seconde, avant que Kaelith lui ordonne de s’éloigner vers le campement le plus vite possible.
Il secoua la tête, il ne voulait pas le laisser là alors qu’il sentait quelque chose approcher :
-Non, je reste avec toi ! Je t’ai déjà abandonné une fois, pas question que je recommence.
Kaelith ne l’écoutait plus et s’était accroupi, prêt à bondir observant tous les recoins de la lisière, mais rien ne sortait.
Une voix cria au loin :
-Kaelith ?
Silence
-Kaelith ? C’est Dainsleifin qui nous envoie, nous sommes cinq !Plus tard le soir, Kaelith, Saenwë et le porte parole des nouveaux du groupe discutaient à quelques mètres du campement. Pas de feu autorisé, rien que des baies et de la viande crue comme repas ; il ne faudrait pas attirer l’ennemi.
Kaelith s’inquiétait fortement pour la jeune femme :
-Quand vous l’avez vue, comment se portait elle ? Boitait-elle encore ?
Le chef le regarda étrangement et murmura d’attendre un instant, le temps qu’il appelle un autre de son groupe :
-Ce n’est pas moi qui l’ai rencontré en premier, mais plutôt lui. Tiens raconte nous ta rencontre avec Elle.
Le concerné était un jeune homme d’environ vingt ans, c’était d’ailleurs l’age moyen de toutes les personnes que l’on rencontrait à cette époque, il s’assit entre Kaelith et Saenwë, qui en paru fort outré, si bien qu’il se le foudroya du regard autant qu’il put.
–« Tout d’abord je me présente, mon nouveau nom est Loen Grihn, j’ai en effet rencontré Dainsleifin. Je dois dire qu’à la base nos rapports ont été plutôt tendus. C’était il y a une semaine environ. Je marchais à l’aube, le long de falaises dans les gorges de l’Ardèche, le soleil illuminait certaines faces des pierres ocre et rouge, je cherchais simplement de quoi nourrir le groupe, donc je suis descendu au bord de l’eau.
Après quelques minutes de cueillette sur les maigres buissons longeant la rivière je suis tombé dans une toute petite crique, l’eau était si claire que j’étais tenté de me baigner.
Mais c’est à ce moment là que je l’ai vue. Elle était là, couchée dans l’eau. Je pensais avoir affaire à un nouveau cadavre, mais en m’approchant je remarquais qu’elle était totalement nue. En général un cadavre a des vêtements, au moins un minimum. Ses cheveux semblaient pousser à vue d’œil, plus sombres que le charbon, ils flottaient dans l’eau l’entourant d’une sorte de couronne mortuaire, s’enroulant comme des serpents autour de ses poignets qui semblaient si fins et si faibles…
Les quelques vagues causées par le courant les faisaient mouvoir comme s’ils avaient été en vie, l’eau recouvrait partiellement son corps jusqu'à la poitrine, elle semblait dormir. Mais son front était trempé de sueur et non d’eau, c’était la fièvre, et elle la combattait comme elle pouvait apparemment.
Mes yeux je dois l’avouer ont parcouru librement son corps tant qu’elle ne bougeait pas, une méchante blessure infectée se détachait de sa peau blanche. Juste à la cuisse, une blessure assez large et apparemment assez profonde pour immobiliser n’importe quel homme aussi viril et fier soit-il.
Mais à part ses sourcils froncés, aucune plainte ni aucune sorte de souffrance parcourait son corps. Elle semblait calme je la pensais évanouie. Mais lorsque j’ai mis un pied dans l’eau pour m’approcher du rocher sur lequel elle reposait, elle s’est redressée subitement, pointant son épée dans ma direction avant même d’avoir ouvert les yeux.
Une épée, magnifique, j’ai cru rêver, elle étincelait sous la lumière, éclairant le regard de celle qui la portait. Quand elle s’est aperçu que je n’était qu’un simple humain elle la reposée à ses côtés et s’est rallongé dans l’eau. Murmurant des phrases incompréhensibles « sé bog ar ais cuartaigh Dainsleif. Sé bog ar ais ! »
Je m’en souviens parfaitement car elle les a répétées durant une bonne vingtaine de minutes, je ne pouvais même pas avancer vers elle, j’avais l’impression qu’elle me repoussait. Je vous jure ! Ne me regardez pas ainsi, je vous jure que mes jambes étaient scellées au sol.
Je patientais le temps qu’elle me relâche enfin, mais rien ne venait, et l’eau continuait de clapoter sur son corps. Je ne quittais pas des yeux sa plaie, elle semblaient plein d’une aura grise, quelque chose qui n’a rien à faire dans une plaie, une lueur.
Oui voilà, une lueur grise, quelque chose de sale, de putride. Autant le corps de cette femme était beau et délicat, autant cette plaie semblait détruire tout son être. »
Kaelith semblait virer au blanc, malgré l’obscurité. Les remords l’envahissaient, il n’aurait jamais du la laisser partir.
Le chef des nouveaux interrompit Loen Grin :
-Nous commencions vraiment à nous inquiéter, d’autant plus que nous avions vu passer deux cavaliers qui ratissaient la région, et bêtement nous les avions attirés vers les gorges en espérant qu’ils se briseraient le cou en chutant. Et je peux vous dire, il ricana, qu’ils sont peut-être forts, mais ne connaissent absolument pas les terrains sur lesquels ils marchent. Ils sont tous tombés dans les gorges, un couple s’est brisé sur un rocher, l’autre est tombé dans l’eau, mais s’est fracassé sur le fond.
Loen Grin reprit le récit:
-Du second couple, seul le cavalier survécut. Le courant l’amena dans la crique ou nous nous trouvions. A notre opposé. Il sortit péniblement de l’eau et me vit, il semblait mu d’une colère noire, et dégaina son épée en un temps record, avant de se jeter dans l’eau pour m’atteindre. L’aura de la jeune femme m’immobilisait toujours, elle était cachée à sa vue par le volume du rocher, je ne pouvais pas bouger et je paniquais.
Je crois que je n’ai jamais eu aussi peur, sauf quand Dainsleifin se mettait en colère. Mes bras se mouvaient dans l’air, mon corps basculait d’avant en arrière mais je ne pouvais faire un pas. Il n’était plus qu’à quelques mètres de moi, et je sentais son odeur de chien mouillé, ses yeux bleus me transperçaient l’âme. Il levait son épée dans les airs, et s’apprêtait à me trancher quelque membre trop inutile, lorsque comme un éclair Elle jaillit devant moi.
Et contra le coup du guerrier. Elle s’est mise à hurler, hurler la phrase qu’elle répétait depuis de longues minutes. Frappant, frappant, contrant les coups sans sembler avoir de difficultés propres. Le guerrier semblait déjà blessé il est vrai, mais elle avait une énergie qui relevait de la folie. Sa voix devenait plus sombre et plus rauque à chaque fois qu’elle prononçait cette phrase.
J’entendais un martèlement de sabots frapper les roches des gorges, un martèlement attiré par les hurlements de Dainsleifin et par le fracas des épées. Les bruits résonnaient fortement dans les gorges, je n’avais plus l’impression d’être présent. Il y avait cette femme nue, aux longs cheveux noirs, qui combattait avec hargne un soldat, et il y avait ces sabots qui approchaient. Tout tournait autour de moi j’étais terrifié.
Le noir se fit.
Lorsque je m’éveillais, Dainsleifin était habillée, avait Dainsleif à sa taille, et poussait le cadavre du cavalier dans l’eau tout en conversant avec une de leurs montures.Ecrire un commentaire - Voir les 2 commentaires