Mercredi 14 mai 3 14 /05 /Mai 02:09

Dans  le  monde, les  survivants qui avaient échappé aux éboulements et à la fusion devenaient nomades, marchant chaque jour pour assurer leur survie. Les  vieux et  les  plus  jeunes  mourraient de  maladie, de fatigue, de  vieillesse, de  blessures mais la plus part du temps  sous  la  main de  l’épée ou du fléau de  l’un de ces monstres, seuls  les  forts demeuraient.

Les  assauts des  cavaliers  se  faisaient plus  faibles au fil des jours. A quoi bon poursuivre des  êtres qui mourront dans  les jours  suivants ?

Il montaient déjà des camps de terre et  de  pierre, plus  solides  les  uns que  les  autres, et  commençaient  à exploiter  les  terres. Chaque  homme  qui survivait  redoublait de prudence  pour  se  cacher.

Des  milices  à pieds  se  déployaient sur les terres, forçant  tout  être  vivant à se  déplacer. Les humains  se  regroupaient en clans, récupérant des membres chaque  jour.

Lorsqu’ils  se  croisaient ils se  donnaient des  nouvelles  de chaque coin de  France  ou plus  loin, car certains  n’avaient pas  cessé de marcher  depuis  le  Jour. Le  jour  ou cette  apocalypse avait eu lieu.

La fin du règne  humain.

Kaelith était  l’un d’entre  ces  survivants. Il menait  son groupe à présent de  vingt cinq personnes à travers la forêt, car les  plaines étaient trop dangereuses. Il était  chef  car  c’était  à lui que  la  jeune femme avait  parlé. C’était grâce  à elle  qu’il en savait  autant  sur  les Autres.

 Tous  le  respectaient car c’était en lui qu’elle  avait eu confiance, Elle,  Dainsleifin. C’était  lui qu’elle  avait admiré, qu’elle  avait  honoré de sa  présence durant une  nuit  entière, lui contant tout ce qu’elle savait, tous  les mystères qu’Al Hataal lui avait  révélé.

Et  pardessus  tout, certains  membres du groupe avaient été prévenus par des  connaissances  de la  jeune  femme, qu’elle  avait  elle-même  appelé. Le  jeune  homme marchait en tête  de  file, à un rythme  soutenu, épuisant rapidement les troupes mais au moins avançant au maximum vers le sommet. De là il pourrait Les  voir arriver.

C’était ce  qu’Elle  lui avait  conseillé.

 

Jusqu'à ce jour elle semblait  être  la  première  à avoir résisté, la  première  a avoir  organisé  le  sauvetage  d’une  partie  de  la  population par  ses  appels. Elle  semblait  être  l’une des  seules  avec  lui à avoir  combattu et  tué des Autres.

Il sourit en posant  le  pied  sur  une  pierre  recouverte de  mousse  humide.

« Il faut  être  fou, ou totalement stupide pour les affronter ».

Mais  grâce  à cela, elle  était  vue  comme  une  force  inaccessible, celle  qui avait tué  un ennemi, capturé  sa  monture ainsi que  son arme, celle  qui résisterai coûte  que  coûte, elle  répandait un espoir puissant tout autour d’elle.

Certains  des  nouveaux  du groupe  l’avaient  croisée avant  d’arriver, fière, dressée sur  son étalon, l’air  souffrante mais  pourtant  décidée  à aller  jusqu’au bout. Elle  leur  avait  donné  la  direction de  Kaelith, elle savait  qu’il les  protègerait autant  qu’il pourrait. Le  groupe  atteint le sommet en fin d’après  midi.

Le  soleil n’était pas  encore  couché. Kaelith ordonna aux  plus  faibles de  se  reposer pour  l’instant, et  partit  avec  le jeune  homme qui l’accompagnait depuis  un moment  maintenant, celui au sourire Colgate, qui avait également  rencontré Dainsleifin. Il s’avérait  être  un bon compagnon, solide et résistant. Ils s’éloignèrent tous deux faire  le  tour  de  terrain, pour  le sécuriser  un minimum.

Kaelith ?

–Oui Saen ?

–Elle va  revenir  tu crois ?

–Qui ça ?

–Elle…

-Elle  nous  l’a  promis, laisse faire  le temps, si elle  ne  revient pas  tout  de  suite c’est qu’elle  a  des  choses à faire.

–De toute manière  nous  pouvons  nous débrouiller c’est ça ?

-Oui c’est ça.

Ils s’entendaient de  mieux en mieux, Kaelith posa la  main sur l’épaule  de  Saenwë, il semblait si nerveux, triturant ses  jolies  mains, fixant le sol les  yeux  inquiets. Il soupira et  s'approcha de lui. 

Viens  là.

Le chef  prit  le  plus  petit  dans  ses  bras, le serrant  fort  contre  lui, à la  plus  grande surprise  de  Mae, qui s’attendait  à tout  sauf  à ça. Il resta figé, mais  quand  il sentit Kaelith se reposer sur ses épaules  il se détendit et lui rendit  son étreinte.

Le  soleil se  couchait et  rendait tout le paysage presque magique. L’instant l’était déjà mais  à présent ça  en devenait féerique tant c’était beau.

Saen cacha  son visage  dans la  chevelure de son vis-à-vis.

 –J’ai peur d’Eux  Kaelith…

-Ca va  aller Saen, ça  va aller…

Il caressait ses  cheveux châtains qui tombaient sur sa  nuque, ils  sentaient  encore  le lit  d’aguilles de pin sur  lesquelles ils avaient dormis  la  nuit passée. Un parfum frais, rehaussé par la chaleur qui se  dégageait de  son corps. Ils  restèrent  quelques minutes  l’un dans  les  bras  de  l’autre, profitant simplement de cet instant qu’ils ne pourraient certainement  pas  reproduire  à cause  des  obligations  de  Kaelith en tant  que chef.

Soudain ce  dernier  se  dégagea brutalement des bras de Saenwë, qui parut  plus  que  surpris, déçu, et mal à l’aise une  fraction de  seconde, avant que  Kaelith lui ordonne de  s’éloigner vers  le  campement le  plus vite  possible.

Il secoua la tête, il ne  voulait pas  le  laisser  là alors  qu’il sentait quelque chose approcher :

-Non, je reste avec  toi ! Je  t’ai déjà abandonné  une fois, pas  question que  je  recommence.

Kaelith ne  l’écoutait plus  et  s’était  accroupi, prêt à bondir observant tous  les  recoins  de  la lisière, mais  rien ne  sortait.

Une  voix  cria  au loin :

-Kaelith ?

Silence

-Kaelith ? C’est Dainsleifin qui nous envoie, nous  sommes  cinq !

Plus  tard le  soir, Kaelith, Saenwë et le porte parole des  nouveaux  du groupe discutaient à quelques  mètres du campement. Pas de  feu autorisé, rien que  des  baies et de  la  viande  crue comme  repas ; il ne faudrait pas attirer l’ennemi.

Kaelith s’inquiétait fortement pour  la  jeune femme :

-Quand  vous  l’avez vue, comment se portait elle ? Boitait-elle encore ?  

Le  chef le regarda étrangement et  murmura d’attendre  un instant, le temps qu’il appelle  un autre de  son groupe :

-Ce  n’est pas  moi qui l’ai rencontré en premier, mais  plutôt  lui. Tiens  raconte  nous ta rencontre  avec Elle.

Le  concerné était un jeune  homme d’environ vingt ans, c’était d’ailleurs  l’age  moyen de  toutes  les  personnes  que  l’on rencontrait à cette  époque, il s’assit entre  Kaelith et Saenwë, qui en paru fort  outré, si bien qu’il se le  foudroya du regard autant qu’il put.

–« Tout d’abord  je  me présente, mon nouveau nom est Loen Grihn, j’ai en effet  rencontré  Dainsleifin. Je  dois  dire  qu’à la  base  nos rapports  ont été plutôt tendus. C’était il y a  une  semaine environ. Je  marchais  à l’aube, le long de falaises dans les gorges de l’Ardèche, le soleil illuminait certaines faces des  pierres ocre et rouge, je  cherchais simplement  de  quoi nourrir le groupe, donc  je  suis descendu au bord de l’eau.

Après  quelques  minutes  de  cueillette sur les  maigres  buissons longeant la rivière je  suis  tombé dans  une  toute  petite  crique, l’eau était si claire  que  j’étais  tenté de me baigner.

Mais  c’est à ce  moment  là que  je  l’ai vue. Elle  était  là, couchée  dans  l’eau. Je  pensais  avoir affaire  à un nouveau cadavre, mais  en m’approchant je remarquais qu’elle était totalement nue. En général un cadavre a des vêtements, au moins  un minimum. Ses  cheveux  semblaient  pousser  à vue d’œil, plus  sombres que le  charbon, ils  flottaient dans l’eau l’entourant d’une  sorte  de  couronne mortuaire, s’enroulant comme des  serpents autour de ses  poignets qui semblaient si fins et si faibles…

Les quelques  vagues  causées  par le  courant les faisaient mouvoir comme s’ils  avaient été en vie, l’eau recouvrait partiellement son corps  jusqu'à la poitrine, elle  semblait dormir. Mais  son front était trempé de sueur et non d’eau, c’était la  fièvre, et  elle la  combattait comme  elle  pouvait apparemment.

Mes  yeux  je  dois  l’avouer ont parcouru librement son corps tant qu’elle ne bougeait pas, une méchante  blessure infectée se détachait de sa peau blanche. Juste  à la  cuisse, une  blessure assez large et apparemment assez  profonde pour  immobiliser n’importe  quel homme aussi viril et  fier soit-il.

Mais  à part ses  sourcils  froncés, aucune  plainte  ni aucune sorte de  souffrance parcourait son corps. Elle  semblait  calme  je la  pensais  évanouie. Mais  lorsque j’ai mis un pied dans  l’eau pour  m’approcher du rocher  sur  lequel elle  reposait, elle  s’est redressée subitement, pointant  son épée dans  ma  direction avant  même  d’avoir  ouvert les  yeux.

Une épée, magnifique, j’ai cru rêver, elle étincelait sous  la lumière, éclairant le regard de celle  qui la  portait. Quand  elle  s’est aperçu que je n’était  qu’un simple  humain elle la reposée  à ses côtés et  s’est rallongé dans l’eau. Murmurant des phrases incompréhensibles « sé bog ar ais cuartaigh Dainsleif. Sé bog ar ais ! »

Je  m’en souviens  parfaitement car  elle les  a  répétées durant une bonne  vingtaine de minutes, je ne pouvais même pas avancer vers elle, j’avais l’impression qu’elle  me  repoussait. Je  vous  jure ! Ne  me  regardez  pas  ainsi, je  vous  jure  que mes  jambes étaient scellées au sol.

Je patientais le temps qu’elle  me relâche enfin, mais  rien ne  venait, et  l’eau continuait de  clapoter sur son corps. Je ne quittais pas des yeux  sa  plaie, elle semblaient plein d’une aura grise, quelque chose  qui n’a  rien à faire  dans  une  plaie, une  lueur.

Oui voilà, une  lueur  grise, quelque chose de sale, de putride. Autant le  corps  de  cette femme était beau et  délicat, autant cette  plaie semblait détruire tout  son être. »

 

Kaelith semblait  virer  au blanc, malgré l’obscurité. Les  remords l’envahissaient, il n’aurait  jamais du la  laisser partir.

Le chef  des  nouveaux  interrompit  Loen Grin :

-Nous  commencions vraiment  à nous  inquiéter, d’autant plus  que nous avions  vu passer deux cavaliers qui ratissaient la région, et  bêtement nous  les avions attirés  vers  les  gorges en espérant qu’ils  se  briseraient le  cou en chutant. Et  je  peux  vous dire, il ricana, qu’ils  sont peut-être forts, mais ne connaissent absolument pas les terrains sur lesquels ils marchent. Ils  sont tous  tombés dans  les  gorges, un couple  s’est brisé  sur  un rocher, l’autre est tombé dans  l’eau, mais s’est fracassé sur le fond.

Loen Grin reprit le  récit:

-Du second  couple, seul le  cavalier survécut. Le  courant  l’amena dans  la crique ou nous  nous  trouvions. A notre opposé. Il sortit  péniblement de  l’eau et  me vit, il semblait  mu d’une colère noire, et  dégaina son épée en un temps  record, avant de se jeter dans  l’eau pour  m’atteindre. L’aura de la jeune femme  m’immobilisait toujours, elle était cachée  à sa vue  par le volume du rocher, je ne  pouvais pas bouger et  je  paniquais.

Je  crois  que  je  n’ai jamais  eu aussi peur, sauf  quand  Dainsleifin se  mettait en colère. Mes bras se  mouvaient dans  l’air, mon corps  basculait d’avant en arrière mais je ne pouvais faire  un pas. Il n’était plus qu’à quelques  mètres de moi, et  je  sentais  son odeur de chien mouillé, ses yeux bleus me transperçaient l’âme. Il levait son épée dans les  airs, et s’apprêtait à me trancher quelque membre trop inutile, lorsque comme  un éclair Elle  jaillit devant  moi.

Et  contra  le  coup du guerrier. Elle s’est mise  à hurler, hurler  la  phrase qu’elle répétait depuis de longues  minutes. Frappant, frappant, contrant les  coups sans  sembler  avoir de  difficultés propres. Le guerrier  semblait déjà blessé il est vrai, mais  elle  avait  une  énergie qui relevait de  la  folie. Sa voix  devenait plus  sombre  et  plus  rauque  à chaque fois qu’elle  prononçait cette  phrase.

J’entendais un martèlement de sabots frapper les  roches des gorges, un martèlement attiré par les hurlements de Dainsleifin et par le fracas des épées. Les bruits résonnaient fortement dans les gorges, je n’avais plus  l’impression d’être présent. Il y avait cette  femme  nue, aux  longs  cheveux  noirs, qui combattait avec  hargne un soldat, et  il y avait ces sabots qui approchaient. Tout  tournait autour de moi j’étais  terrifié.

Le  noir se  fit.

Lorsque je m’éveillais, Dainsleifin était habillée, avait Dainsleif à sa  taille, et  poussait le cadavre du cavalier dans l’eau tout  en conversant avec une de  leurs  montures.
Par Absynthe - Publié dans : Dainsleifin ou La Menace d'Outre Terre
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