Un Vampire? Non merci! Par Inrainbowz

Dimanche 31 octobre 7 31 /10 /Oct 01:11

Vous n'en avez toujours pas assez?

Eh bien voici encore un article, cette fois-ci d'une histoire entièrement terminée et dont les chapitres seront publiés régulièrement. J'ai l'honneur de publier ce soir Inrainbowz, auteur que j'ai lue la première fois sur ff.net et que j'ai franchement apprécié. {Pour que je m'en souvienne déjà, c'est une preuve...}
Bref! Place à sa présentation, et ensuite au premier chapitre de cette histoire!

  

 

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Je m’appelle Inrainbowz (Inrain pour les intimes et quand j’ai la flemme de l’écrire en entier) et j’ai 17 ans. J’écris depuis le collège environ, et je ne serais même pas capable de relire mon « cahier de mots » de cette époque tant le niveau était médiocre. Mais bon, comme il faut bien s’améliorer un jour ou l’autre, à force j’ai fini par écrire des choses un peu plus présentable, et il y a un an j’ai décidé de sauter le pas et j’ai publié mes premières fics sur ff.net, qui a été une sorte de révélation divine pour moi et où je sévis toujours sous le même pseudo. A mon grand regret je n’arrive pas à écrire autre chose que du yaoi, enfin, plus précisément, il y en a toujours une trace dans mes textes, quels qu’ils soient (en fait je ne regrette pas du tout, je suis une fan inconditionnelle sans pouvoir me l’expliquer).

                Ce récit est la première histoire originale que je publie, ça me fait un peu peur, j’avoue. Je l’ai écrite d’une traite en à peine deux mois tant j’étais inspirée, mais j’ai hésité un moment avant de l’envoyer. Bon, me voilà finalement sur le blog d’Absynthe que je vénère complètement (c’est un honneur !). L’histoire est déjà écrite en intégralité, ce qui n’est pas plus mal car je suis actuellement en prépa scientifique et que je n’ai plus le temps de rien, même pas d’écrire. Je veux devenir pilote de ligne, ce qui n’a effectivement rien à voir avec mon travail d’auteur, mais ça ne m’empêche pas de songer à me faire publier, un jour (quand j’aurais grandi et que je me serais largement amélioré). Et donc voilà.

                Je dédie cette histoire à ma mère, qui l’a corrigée, à Lé, à qui je lis toutes mes fics à voix haute et qui a été la première à découvrir celle-là, et à Manon, qui tient absolument à lire une de mes histoires.

 

                Bonne lecture !

  

  

Chapitre 1

  

C’est décidé. Dès demain – ou plutôt cet après-midi, quand je me réveillerais – j’efface définitivement de mon répertoire le numéro de cette niaiseuse de Mandy.

Déjà, rien que le fait qu’elle s’appelle Mandy joue contre elle : j’associe ce prénom à la garce des Totally Spies et ça ne m’aide pas du tout à la prendre au sérieux. Mais même sans ça… même sans ça, cette fille est juste trop conne. Après me l’être trimballée les quatre années du lycée et ces deux dernières années à l’université, je n’ai toujours pas percé le mystère de notre amitié. En fait, on n’est même pas vraiment amie : c’est elle qui me colle depuis tout ce temps, depuis le premier jour d’enseignement secondaire où j’ai eu le malheur de lui répondre « oui » quand elle m’a demandé « je peux m’asseoir à côté de toi ? ». Je ne connaissais personne, et je n’ai pas suffisamment prêté attention à son physique (qui en disait pourtant long) avant de lui balancer ma réponse. Elle m’a toujours exaspérée, irritée, même si j’avoue que son côté naïve et puéril m’a tout de suite donné envie de la protéger, dans une certaine mesure. C’est sans doute ce qui explique pourquoi je ne l’ai jamais laissée tomber comme toutes les autres personnes qui m’ont approché au fur et à mesure des années. Elle était mignonne, dans son genre, un peu comme un animal de compagnie. Insupportable, mais attachante. En fait, le vrai mystère, c’est de comprendre pourquoi ELLE ne m’a jamais virée de sa vie. Je ne suis pas quelqu’un de spécialement agréable à vivre. Je suis méprisante, hypocrite, je ne supporte presque rien ni personne, je l’envoie sur les roses une fois sur deux quand elle me parle… et pourtant elle continue, inlassablement, à courir vers moi avec son sourire de bisounours et à inonder ma boîte de réception de messages sans intérêt et, pire que tout, elle persiste à m’inviter à toutes ces fêtes craignos où elle retrouve tous ses amis craignos et où je m’emmerde comme c’est pas permis si j’ai eu le malheur de la suivre. Parce que moi j’y vais en plus. Je cède à ses caprices, ça non plus je ne sais toujours pas pourquoi. Ah, peut-être parce qu’on peut manger à l’œil et se mettre minable aux frais de la bande de losers.

Toujours est-il que c’est fini cette fois. Pour le coup, elle a vraiment abusé.

Elle m’a appelé mardi dernier, exactement treize minutes après que l’on se soit séparées à la sortie de la fac, avec cette voix horripilante et suraiguë qu’elle prend quand elle est excitée – une vraie gosse.

« Stef’ ! Stef’ ! Stef’ ! Tu devineras jamais ce que je viens d’apprendre ! »

Je ne m’appelle pas Stefanie comme on pourrait le croire. Non, ce serait sous-estimer ma mère et ses lubies extravagantes, comme sa fascination pour les prénoms mixtes, ou les supposait-elle. « Comme ça j’ai pu choisir vos noms avant votre naissance sans que ça pose problème » nous a-t-elle dit un jour, à ma fratrie et moi. Ma mère était une hippie rescapée du summer of love sans y avoir assisté et il est inutile de préciser qu’elle ne voulait pas connaître le sexe de ses enfants avant l’accouchement, pas plus qu’elle ne voulait nous faire vacciner, aller à l’école, manger autre chose que du bio, porter des vêtements unis… Toujours est-il que je ne m’appelle pas Stéphanie. Mais Stefane. Stefane, sérieusement. Tout le monde m’appelle Stef’, à ma demande.

« Steevy, tu sais, Steevy de mon cours de civilisation ?! Et bah il organise une super-fête pour son anniversaire la semaine prochaine, et je suis invitée !! Et il a dit que je pouvais amener qui je voulais. Tu vas venir hein ? Tu vas venir ? »

Je n’ai pas répondu immédiatement, parce que je ne réponds jamais rien à Mandy : elle a le don de faire la conversation toute seule, ce qui m’arrange bien, je dois le reconnaître. Je n’ai pas vraiment compris comment, dans son esprit, il était concevable que je puisse connaître un type de sa promo, sachant que j’étudie moi-même en science au bout de l’avenue, et j’ai voulu refuser. J’ai vraiment voulu lui dire non. Et puis elle a prit ses insupportables intonations de gamine geignarde, me suppliant, chialant presque, et j’ai cédé pour la faire taire.

On se rejoin ché moi a 20h, bisoux ai-je reçu en début d’après-midi, alors que j’espérais vainement qu’elle m’avait oubliée.

Mandy est fascinée par l’histoire. On ne dirait pas derrière ses airs de cruche, mais c’est une fille brillante. Ça me semble d’ailleurs parfaitement incompatible qu’il y ait tant de différences entre l’étudiante, sérieuse et appliquée, et la fille de tous les jours, hystérique et immature, qui se côtoient dans son corps frêle de jeune pouffe haute de 1m67. Je ne sais pas ce qu’il se passe sous ses longues mèches dorées et ses yeux verts à l’éclat idiot. C’est une enfant faible et influençable, et je m’occupe d’elle plus que je ne suis son amie sans pouvoir me résoudre à l’abandonner. Il faut croire que j’ai développé un complexe maternel à son égard. J’ai d’ailleurs tenté en vain de la faire écrire normalement dans ses textos. Au moins, j’ai réussi à lui faire passer la mode « kikoolol » en la menaçant de ne plus jamais lire aucun de ses messages, ce qui a marché jusqu’à un certain point. Au moins n’écrit-elle plus « on srej1 ché mwa ». Mais pourquoi un x à la fin de « bisous », franchement ?

« Salut Mandy ! C’est cool que tu sois venue ! C’est une amie à toi ?

-Salut Steevy. Joyeux anniversaire ! Je te présente Stef’.

-Salut !

-‘Lu. »

Je pense qu’il s’attendait à ce que j’enchaîne, ou au moins que je lui souhaite son anniversaire, comme tout le monde. Et comme tout le monde, il s’est heurté à mon silence indifférent et il a laissé tomber, mal à l’aise. Je suis très douée pour mettre les gens mal à l’aise.

Après avoir raflé une bouteille de tequila, je me suis dirigée vers les toilettes de l’étage. J’y ai passé les sept dernières heures.

Heureusement pour les autres invités, il y avait d’autres toilettes dans la maison, sinon les plantes auraient débordé d’urine. C’est qu’il ne s’embête pas, le Steevy, dans son appartement à trois étages, au moins dix pièces inutiles et superbes voitures de collection que j’ai pu admirer en forçant la porte du garage. Par contre, évidemment, il habite la Vieille Ville, et moi, je dois me retaper tout le chemin jusqu’à mon propre quartier de Žižkov, à pied et sans marcher droit.

Comme souvent quand je vais squatter chez les autres, j’en ai profité pour refaire mon stock de toutes ces babioles inutiles et sans intérêt qu’on vend aux vides-greniers et qui font office de décoration dans mon deux-pièces. Dessous de verre, chandelier en vrai toc, fleur en plastique… plus une demi-douzaine de magazine art déco et des bouteilles de vodka coca, ça fait lourd. J’avance péniblement. J’aurais dû arrêter de boire quand j’ai éclaté de rire en lisant un reportage sur le fromage de région dans une des revues de chiotte de l’autre abruti. C’était un signe évident. Je me rends bien compte que je tangue dans tous les sens, à moins que ce ne soit le trottoir… J’ai renversé la moitié de ma bouteille sur mon t-shirt jaune, mais il doit m’en rester assez pour être sûre que mon taux d’alcoolémie continue de me faire croire que je n’ai pas mal aux pieds et que je ne suis pas exténuée. Que je dessaoule un peu et je suis bonne pour dormir sous un porche.

T déja parti ? T pa drole ! On se voi demin.

Je supprime les messages de Mandy aussitôt lus pour m’éviter la tentation de les imprimer en deux mille exemplaires et de les afficher partout dans la fac avec pour légende : « et ça veut devenir prof ». Encore une fois, les paradoxes de cette idiote sont aberrants : ses cours sont un modèle de soin, alors pourquoi se sent-elle obligée de m’envoyer toutes les fautes d’orthographe possible de la langue française à chaque phrase ?

Allez, plus que quelques mètres avant la porte de mon immeuble. J’ai juste à dépasser le coiffeur, la porte du numéro quatorze, éviter la boîte postale, passer devant la ruelle miteuse où sont remisées les poubelles…

Tiens, elle a l’air occupée, la ruelle…

Trois types avec des gueules de cons. Mauvais genres, des racailles à la petite semaine. Ils ont l’air de bien se marrer en regardant leur victime enchaîner au mur. Enchaîné ? Mais qui a eu l’idée d’accrocher des chaînes au mur de cet immeuble ? Ça ne sent pas bon pour lui, on dirait qu’il va se faire rosser. Attends, c’est moi où les chaînes fument ? Bah, je m’en tape. J’ai trop bu, je suis fatiguée, j’ai autre chose à faire. A peine trois pas et je pourrai rentrer chez moi et effacer de ma mémoire tous les dégénérés que je croise à cette heure-ci dans les rues de Prague.

J’ai oublié le code.

Quand j’ai emménagé dans ce quartier en ruine, je me suis dit « chouette, j’ai droit au seul immeuble avec un minimum de sécurité ». La vérité, c’est que tout le monde le connaît, ce putain de code, et il m’a fallu moins d’une semaine pour comprendre le problème qu’il posait quand on a deux grammes dans le sang. Merde, j’ai le cerveau embrouillé, pas moyen de me concentrer cinq secondes. C’est quoi déjà... Je crois que ça commence par 23. Ou 32. Fait chier. Je l’ai pas noté quelques part ? Je note toujours tout d’habitude. Je fais des brouillons sur mon portable pour enregistrer les codes des cartes de crédits de mes diverses connaissances et les mots de passe de session sur les ordinateurs de la fac. Par contre j’ai laissé de côté mon propre digicode. Et l’autre là-bas qui n’arrête pas de gueuler… Ils ne peuvent pas lui foutre la paix les trois cons, que j’arrive à quelque chose ?

Ah, mais j’y pense…

Les types louches de la ruelle, ils le connaissent peut-être eux, le code ? Dans ce quartier tout le monde le connaît…

Ils ont l’air un peu occupé là… Qu’est-ce que je fais, je les dérange ? Putain, trois contre un, y’a vraiment que les mecs pour être aussi lâches. Ils m’énervent ceux-là. C’est à cause de ce genre de blaireaux qu’on se fait tous contrôler par les keufs au moindre décibel plus haut que l’autre, à la moindre rayure sur une bagnole, au moindre cri.

« Euh… excusez-moi… »

Bon, apparemment, je les ai dérangés. Ils devraient s’estimer heureux que j’ai été aussi polie déjà. Celle qui est bien emmerdée ici, c’est moi. Ils n’ont pas l’air de penser exactement comme moi. Alors que l’abruti enchaîné au mur me regarde les yeux plein d’espoir – que je ne suis certainement pas prête de satisfaire – le plus jeune de ses trois bourreaux me jette un regard assassin.

« Toi tu ferais mieux de dégager avant qu’on te fasse ta fête, sale te-pu. »

Et un coup de boule, un !

Et oui, je suis une femme assez violente. J’ai pris des cours de self-défense pour me canaliser, mais ça n’a pas trop marcher. Alors je me suis mise à la boxe. La boxe thaïlandaise. Beaucoup plus efficace. Enfin bon là, il faut dire que je suis sacrément éméchée aussi. Sinon, je me serais barrer en courant, je ne suis pas WonderWoman non plus.

Je lui balance un coup de sac en gueulant. De toute façon je ne suis pas précisément en état de faire quoi que ce soit de plus développé. Je frappe au hasard, faisant des moulinets avec mes bras et continuant à beugler comme l’ivrogne que je suis. Je sens tout de même quelques coups faire mouche, on est entraîné ou on ne l’est pas. Ils ne doivent pas trop comprendre ce qui vient de se passer, ce qui explique leur manque de réaction et le fait qu’ils ne m’aient pas déjà mise KO parce que là, franchement, une tape sur l’épaule et je tombe raide. Toujours est-il que quand je fini par arrêter de m’agiter, les trois wesh se sont volatilisés. C’était bien la peine de me donner autant de mal. Bon, c’est pas tout ça mais il serait peut-être temps de rentrer. Bouger comme ça m’a donné faim. J’irais bien me faire une pizza avant d’aller pioncer ; le soleil commence à se lever. On est samedi, rien ne presse.

« Eh, attends ! Aide-moi ! »

Et merde, je l’avais oublié celui-là ! Il est toujours attaché au mur, ce con ! Je sors machinalement un paquet de clope de mon blouson, agacée. J’ai descendu tout le paquet pendant la soirée, il me reste plus que les clopes dégueulasses que j’ai piqués dans le sac à main de Mandy. Elles sont à la menthe. Ça lui ressemble bien. Je tire sur le cône en grimaçant de dégout. En fait je n’ai jamais vraiment aimé la cigarette. En revanche ce qui est sûr c’est que j’adore fumer. La « beauté du geste », je suppose.

« Et comment tu veux que je t’aide ? J’ai pas les clés je te signale.

-Elles sont peut-être tombées quelque part. Si tu cherches un peu…

-Et pourquoi je ferais ça ? »

C’est vrai quoi, il m’emmerde ce gamin. Il doit avoir quoi, 16 ans ? 15 ? Pourquoi il me parle comme si on se connaissait depuis mathusalem, on n’a pas gardé les vaches ensemble que je sache ? Il me fixe d’un air complètement ahuri.

« Désolé, je me casse. »

 


Quelqu’un d’autre s’en occupera. Quelqu’un de sympa, qui n’a pas de problème relationnel, qui ne déteste pas le genre humain. Moi, je n’en vois pas l’intérêt. Je viens de me souvenir du digicode de l’immeuble.

 

Par Absynthe - Publié dans : Un Vampire? Non merci! Par Inrainbowz - Communauté : Des Fantasmes par la Langue
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Lundi 8 novembre 1 08 /11 /Nov 06:49

{Ce post est entièrement écrit par Inrain. Y compris l'en tête. Bonne lecture les filles!}

 

 

Hello !


Me revoilà avec le chapitre deux.

Alors, je voulais juste préciser que j'ai situer l'action à Prague parce que c'est une ville qui me fascine et que ça changeais un peu. Je n'y suis jamais allé et même si je me suis renseigné comme j'ai pu (notamment pour les quartiers - la photo est d'ailleurs une vieille image de celui de Zizkov où vit Stef' - le système scolaire, ce genre de chose) je n'ai pas la prétention d'être parfaitement cohérente avec le lieu. J'espère qu'il n'y aura rien d'aberrant par rapport à ça (normalement non, j'ai vérifié).



Sinon, la chanson Cubicle est du groupe Rinôçérôse, de l'album Schizophonia. D'ailleurs c'est ma propre sonnerie de portable.


Voilà voilà.


Bonne lecture !

Chapitre 2:

 

ZIZKOV.JPG

 

 

Musique électronique, et la voix nasillarde de je ne sais plus son nom.

                You got them bruise's placed upon your legs…              

Je ne sais plus exactement si c’était mon idée de mettre Cubicle comme sonnerie associé à Mandy. Je voulais quelque chose de nerveux, d’obsédant, d’assommant, à son image. J’avais oublié que Mandy a un don très particulier : elle parvient toujours à m’appeler quand je suis endormie. Ça ne rate jamais, que ce soit un matin où j’ai décidé de faire la grasse matinée ou un soir quand je m’étais couché tôt, elle ne loupe jamais son coup. Même quand je dors à… 16 heures. Ah. Ceci explique cela.

                « M-allô ?

                -Steeeeef’ ! Viens m’ouvrir, ça fait une heure que je frappe à ta porte, je vais me faire dégager par le concierge !! »

                Je pourrai très bien la laisser poireauter encore une heure histoire de, mais bon, maintenant que je suis réveillée… Je me traîne péniblement jusqu’à l’entrée de mon deux-pièces minuscules, et, comme je m’y était attendu, elle me saute dessus à peine la porte déverrouillée.

                « Stef’, mais qu’est-ce que tu faisais ? J’ai eu peur !!

                -J’étais en train de dormir pauvre tache, et je t’ai déjà dit d’arrêter de te prendre pour ma mère, je suis pas obligée de te faire un bilan de santé toutes les deux heures… »

                Elle est encore plus agitée que d’habitude, ce qui lui fait ressembler à ces jouets mécaniques qu’on donne aux chats, les souris en plastique qu’on remonte, qu’on remonte, et quand on les lâche, elles partent comme des flèches en sillonnant l’appartement pour échapper à leur prédateur. On en avait une pour notre siamois quand j’étais enfant, et Mandy se comporte comme ce truc quand elle est excitée – ou énervée, mais bon, c’est tellement rare…

                « Bon, qu’est-ce qu’il t’arrive encore ? »

J’ai vraiment l’impression d’être sa mère parfois. Ou au moins sa grande sœur. Elle ne s’en plaint pas, parce qu’elle est fille unique, qu’elle n’a jamais connu son père, et que sa mère préfère consacrer sa vie à lui chercher un remplaçant plutôt qu’à prendre soin de sa progéniture – je ne comprendrais jamais les mères.

                « Bah en fait je voulais juste venir te voir pour savoir comment tu allais, vu que tu es partie super vite hier, et en fait je t’ai pas vu de la soirée, tu étais où ?

                -Abrège !

                -Oui bon bref, et donc je suis arrivée depuis l’autre bout de la rue vu que j’ai pris le bus, mais je me suis pas arrêtée à ton arrêt, je voulais marcher un peu tu vois, histoire de bouger, parce que j’aimerais bien perdre quelques kilos, enfin bref, donc je suis passée devant une rue en bas de chez toi et… y’avait un type tu vois, et il était attaché au mur ! En plus il avait l’air mal en point, mais j’ai pas réussi à le réveiller, alors je me suis dit que j’allais te demander de m’aider, vu que tu vois toi t’es super forte, et puis t’as peut-être de quoi le libérer toi parce que du coup moi j’ai rien sur moi, j’avais pas prévu de devoir forcer une serrure pour aider un mec moi tu vois… enfin… ça va ? »

                Mais comment fait-elle pour débiter aussi vite ? Enfin, le problème n’est pas là : le crétin est toujours dans la ruelle, ce qui signifie que personne n’a jugé utile de l’aider. En fait, ça ne m’étonne qu’à moitié. Ils sont tous comme moi, dans le coin… Mandy, c’est différent. On pourrait écrire son nom dans le dictionnaire pour illustrer un bon nombre de traits de caractère embarrassant, dont « naïveté » et « bavard » feraient partie, mais elle figurerait également à côté de la définition de l’altruisme. Ou de l’expression « avoir le cœur sur la main ». Mandy aime le monde entier et elle se sent obligée d’aider tous ceux qui croisent sa route. Tous. Les clochards, les mamans débordées, les types malheureux, les pannes d’essence, les mamies dans le bus. Un jour, elle m’a avoué, éméchée, qu’elle avait envie de m’aider moi aussi, parce qu’elle voyait bien que j’étais triste et que je me fermais au monde et que ce n’était pas sain. Je lui ai promis de ne plus jamais lui adresser la parole si elle continuait sur sa lancée, et elle s’est tue. Je ne crois pas qu’elle s’en souvienne. Moi si. C’est peut-être une autre des raisons qui fait que je ne peux pas me résoudre à la dégager.

                « Et bien sûr, tu veux l’aider parce que…

                -Ben… Parce qu’il a besoin d’aide. »

Pour elle, le don de soi est évident. Elle veut être prof au collège, c’est dire.

                « Bon très bien, on descend. »

Je prends au passage le bout de ferraille qui me serre en général à forcer les serrures, et à l’occasion à ouvrir ma propre porte quand j’ai oublié mes clés, ce qui m’arrive fréquemment, et aussi à démarrer la 125 que j’ai trouvé dans le parc l’an dernier.

                Il ne me faut que quelques minutes pour venir à bout des menottes du jeune homme toujours dans les vapes, bien que l’obscurité de la ruelle coincée entre deux immeubles d’une dizaine étages ne me facilite pas la tâche. Pas un rayon de soleil pour éclairer mon labeur. Enfin bref. Le métal a laissé des traces de brûlures sur ses poignets, il faut croire que je n’avais pas rêvé la fumée qui s’en échappait hier, mais bon, ce n’est plus mon problème. Libéré de ses entraves, l’adolescent s’effondre sur le sol comme une loque et je me prépare à rentrer chez moi quand la voix fluette de Mandy me retient.

                « Stef’… Tu vas pas le laisser là ? »

Elle a le ton incrédule de celle qui n’en revient pas, qui ne veut même pas croire ce qu’elle vient d’évoquer. Pourtant c’est bien mon intention.

                « Quoi ? Il est libre, non ? Il va bien s’en sortir tout seul.

                -Stef’… »

Je déteste, j’ai HORREUR qu’elle prenne ce ton-là. Elle pourrait me faire un sermon, être méprisante, et ça ne me ferait rien, parce que les gens qui me méprisent se comptent par centaine et que je me moque de l’opinion que l’on peut avoir de moi. Mais ça, ça n’a rien à voir. Elle, elle est vraiment blessée. Au bord des larmes que je sois aussi insensible et cruelle. Elle me fait une tête qui signifie clairement « Tu rigoles hein ? Tu vas pas faire ça ? ». Et je suis incapable de lui dire que si, que j’en ai rien à foutre, qu’il peut bien crever la gueule ouverte et que je ne lèverais pas un doigt de pied pour l’aider. Parce que cette idiote est trop innocente et trop naïve et que je ne peux pas briser impunément ses illusions d’enfant gâté.

                « C’est bon c’est bon, pleure pas ou j’te cogne. Je vais l’emmener chez moi, ça t’ va ? »

Et elle me sourit. Encore. Avec ce sourire qui lui donne un air con. Et elle est heureuse. Parce ce que je ramasse la loque et que je le hisse avec peine sur mon dos. Je suis vraiment trop faible devant ses mimiques d’enfant. Elle me fait penser à ma jeune sœur, c’est pour ça que je n’arrive pas à lui dire non. Cela fait des années que je ne l’ai plus vue, ni elle ni les autres… Enfin bref. A peine engagé hors de la ruelle aux poubelles, enfin éclairé par la lumière du jour, le poids sur mon dos se met à s’agiter. Et puis il hurle.

                « Stef’ ! Stef’, recule ! »

Aussitôt dit, aussitôt fait, je me re-planque dans le passage obscur.

                « Mais putain c’est quoi ce bordel ?

                -Je sais pas, je crois que c’est le soleil. Regarde »

Effectivement, ses mains sont devenues aussi rouges que les marques qu’il avait aux poignets.

                « Il est peut-être allergique aux rayons du soleil ? Tu sais, comme les enfants de Nicole Kidman dans Les Autres. J’ai vu une émission là-dessus une fois….

                -Mandy. Ta gueule. »

Mon dos douloureux me pousse à reposer l’adolescent sur le sol, à l’abri derrière une grosse benne verte pleine à ras-bord.

                « Bon bah tant pis alors. »

Encore une fois, je tente une esquive en direction de mon immeuble et de mon lit pliant qui m’appelle avec une voix mielleuse.

                « Mais qu’est-ce que tu fais ?

                -Et bah je rentre chez moi, qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Je peux pas le bouger sans qu’il grille comme un steak sur un barbecue !

                -Bah ouais mais…

                -T’as une meilleure idée mère Theresa ? »

Elle a encore les larmes aux yeux, elle ressemble vraiment à une enfant de huit ans à qui on vient de dire qu’on quittait la fête foraine sans passer par le vendeur de barbe à papa.

                « Il faudra repasser ce soir alors. »

Mais elle pas croyable cette nana !

                « Et puis quoi encore ?

                -Stef’, s’il te plait… »

Et c’est comme ça que cinq heures plus tard je me suis retrouvée à refaire le porteur pour le nouveau protégé de la meilleure amie des nécessiteux.

                « Bon, tu peux rentrer chez toi maintenant, à trois dans mon apart’ ça commence à faire juste.

                -D’accord mais…

                -C’est bon, je vais m’occuper de lui, je vais pas le jeter par la fenêtre. »

Elle a l’air sincèrement soulagée. Sans doute parce qu’elle pensait vraiment que j’allais virer l’invité surprise aussitôt qu’elle aurait eu le dos tourné. Et en fait c’est bien mon plan. Mais je vais attendre qu’elle soit montée dans le bus, je ne voudrais pas éveiller ses soupçons.

                « Je repasserais demain matin, voir si tout va bien.

                -Putain Mandy, t’es pas ma mère ! »

En fait, elle me connaît aussi bien que je la connais. Et elle veut venir vérifier parce qu’elle n’a aucune confiance en moi et qu’elle a bien raison. Il y a vraiment des fois où je me déteste. Et où je la déteste aussi. Surtout.

                « Très bien je le garde, mais alors tu ramènes le petit dej’.

                -Des pains au chocolat ça ira ?

                -Prends-en une demi-douzaine, et des maxi hein, sinon on va crever la dalle. Bon aller, dégage maintenant. »

Je finis toujours par la virer comme ça, et elle ne s’en formalise jamais. Au fond il doit y avoir quelque chose en plus derrière son insupportable enthousiasme permanent, ce n’est pas possible autrement. La porte claque dans le silence retrouvé de mon modeste logement. J’ai allongé le colis sur mon clic-clac (je ne le replie jamais), où il dort comme un bienheureux. Je peux faire une croix sur ma nuit moi. Oh et puis après tout, il fait deux places ce lit, et l’autre prends pas vraiment un espace conséquent – il est tout maigre. Allez, adjugé, de toute façon, je suis chez moi non ? Je m’étale sur le lit à côté de l’idiot sur ces pensées philosophiques, et je me rendors.   

 

A suivre....

 

{La réponse aux reviews du chapitre précédent sera publiée ce soir.}

 

 

Par Absynthe - Publié dans : Un Vampire? Non merci! Par Inrainbowz - Communauté : Auteurs Sadiques
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Dimanche 14 novembre 7 14 /11 /Nov 14:06

Maj du dimanche, qui cette fois arrive bien le dimanche, et pas le lundi, je sais pas ce que j'ai foutu la semaine dernière, mes excuses. Bon, donc voici le nouveau chapitre d'Inrainbows, que j'aime beaucoup ^^ Autant les personnages féminins me gonflent, autant Stef me dérange finalement pas tant que ça =P Et à voir vos réactions, vous aussi vous l'aimez bien!

Bref c'est super, j'ai mis les réponses aux coms du premier chapitre en ligne, désolée pour le retard. Et ceux du second, qui tombent à l'heure, je suis assez fière.

 

Place à Inrain!

ps: j'adore cette image, t'as bon gout ;)

  

 

Bonjour bonjour, tout ça…

 

Chapitre 3 : Powa ! Je l’ai amélioré autant que j’ai pu suite aux conseils d’Absynthe, j’espère que ça vous plaira. Pour celle qui se plaigne de la courtitude (?) des chapitres (Sinoa, c’est à toi que je parle) et bah… Et bah tant pis ! ^^ Tout est déjà écrit, découpé et prédécoupé, donc il faudra s’en contenter. Je sais, c’est dur. Par contre comme je rajoute des trucs au fur et à mesure peut-être que ce sera de plus en plus long. Ou pas. C’est pas si simple…

 

Sur ces sages paroles, place au chapitre 3.

 

Bonne lecture !

 

(image : Silence of the City, de photo-earth, sur DA)

 

 

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Cette putain d’idiote de Mandy, j’aurais jamais dû lui donner mon adresse, mon numéro de portable, j’aurais jamais dû lui adresser la parole ni la laisser entrer dans ma vie. C’était il y a cinq ans et je m’en mords encore les doigts. Et évidemment je n’ai jamais déménagé ni changé de téléphone, et je me suis encore moins fait d’autres amis pour compenser. Non, je suis restée seule avec cette adorable casse-couilles, et j’en peux vraiment plus.

                Déjà, à cause d’elle, mon habituelle grasse matinée du dimanche matin a été sérieusement écourtée. Encore un réveil en douceur : ce putain d’emmerdeur s’est mis à hurler dès le lever du soleil. Après quelques minutes à essayer de me débattre avec mes draps et les bribes de rêve qui continuaient à m’embrumer l’esprit, j’ai fini par me lever. Il m’a fallu un moment pour replacer la situation dans son contexte. Il était à peine sept heures selon l’horloge au-dessus du lit, ce qui était vraiment bien trop tôt pour moi. La lumière du jour éclairait à peine l’intérieur de l’appartement, quelques rayons de soleil peinant à traverser les nuages gris. Ensuite, le type ramené hier à cause de Mandy était recroquevillé derrière le clic-clac, tentant visiblement de protéger son visage avec ses mains, et il criait à m’en percer les tympans, de souffrance visiblement, ce qui était la cause de mon réveil soudain. J’ai gueulé un peu plus fort que lui et je lui ai décroché un coup de pied avant de comprendre ce qui n’allait pas. Le matin. Le soleil.

J’ai tenté avec un succès relatif de contourné rapidement mon lit, ce qui a eu pour conséquence de m’emmêler les pieds dans la descente de lit et de me rétamer sur le parquet usé, patiné par les nombreux aller et venus des locataires successifs. Je savais bien qu’il souffrait et qu’il fallait que je me dépêche, mais j’ai quand même pris le temps de maudire Mandy en fixant mon plafond craquelé. Je me suis relevée pour finalement fermer avec empressement les stores de mon unique fenêtre. Les cris se sont tus. Y’a pas à dire, j’ai connu de bien meilleurs réveils.

J’ai bien essayé de me recoucher, en ignorant superbement l’adolescent paumé au milieu ma chambre-salon-cuisine. C’était sans compter sur la chieuse de service. Pour moi, quand elle a dit « je passerai demain matin », je voyais bien la fin de matinée, ou même le déjeuner pourquoi pas. Mais non. A huit heures tapantes, elle sonnait à la porte. Je l’ai ignorée elle aussi, parce ce que je voulais dormir. Et là ce… ce pauvre crétin n’a rien trouvé de mieux à faire que lui ouvrir la porte pour moi. Bah oui bien sûr, fait comme chez toi, je te dirais rien. J’ai cru faire un meurtre. À la place, j’ai continué à faire semblant de dormir. Résultat, Mandy a fini par sauter sur le lit en riant, et je l’ai dégagé en grognant, surtout qu’elle avait posé ses bottines vernies sur mon plumard sans en être le moins du monde dérangé. Elle s’est écrasée sur le sol comme moi quelques temps plus tôt, et elle s’est mise à bouder. Je n’étais pas, mais alors pas du tout d’humeur à supporter ses caprices, alors je l’ai mise dehors.

« C’est bon, je le garde, ton chien errant, alors fout-moi la paix ! »

J’ai raflé les pains au chocolat au passage, et j’ai claqué la porte devant son visage mi attristé, mi satisfait. Parce qu’au final, j’ai fait ce qu’elle attendait de moi : j’ai donné asile au clochard de quatorze ans.

 

O

 

                Et voilà. Il n’est que 8h30, annonce fièrement mon réveil digital posé par terre près du lit – je dois me tordre le coup pour l’apercevoir depuis la cuisine – et je suis déjà d’une humeur massacrante. Je crois que mon rapide accès de colère a impressionné mon invité, parce qu’il n’a rien dit depuis que j’ai mise Mandy à la porte. Il n’a même pas bougé. Il reste assis sur un des tabourets du comptoir de la cuisine, et il regarde autour de lui avec émerveillement comme si il était dans le château de Cendrillon. J’ai essayé plusieurs fois d’ouvrir le dialogue, mais je me ravise à chaque fois avant que les premiers mots aient franchi mes lèvres. A la place, je fais mine de ranger un peu la vaisselle qui traine pour me donner contenance. J’aurais dû le refiler à Mandy et… mais non, bien sûr, c’est stupide. Personne n’a le droit d’aller chez elle. Même moi je n’y suis jamais allé. Elle n’a pas le droit d’invité d’amis, d’introduire une personne extérieure dans sa maison, alors qu’est-ce que ce serait avec un inconnu ramassé sur le trottoir ? Moi, c’est différent. Je vis seule. Je n’ai pas de famille, enfin, disons que je l’ai semé en route. Je n’ai de compte à rendre à personne. J’ai faim.

                « Tu veux manger quelque chose ? »

Il a sursauté tellement je l’ai surpris. Il n’a même pas l’air d’être sûr que c’est à lui que je m’adresse, il regarde furtivement autour de lui pour voir si il n’y a pas quelqu’un d’autre dans la pièce, caché dans mon foutoir. De toute façon, comment pourrait-il voir quoique ce soit avec toutes ces bouclettes dans les yeux ?

                « C’est à toi que je parle crétin. »

Il hésite encore, incapable de croiser mon regard, se tordant les mains. Ça commence à plomber l’ambiance, ces silences pesants.

                « Euh… Non. C’est bon.

                -Ok. »

Tant mieux, toutes les viennoiseries sont pour moi. Je suis toujours plus loquace quand je suis en train de manger. Je fouille un peu les placards vert pomme à la recherche d’une tasse qui ne soit ni fendillée ni crade et je me sers un café que Mandy a pris le temps de préparer à je ne sais quel moment, une moitié de pain au chocolat coincé entre les dents. Le garçon continue de détailler mon modeste appartement de ses yeux aux couleurs changeantes, comme si mes trois étagères métalliques et mes fringues semées aux quatre vents avaient un intérêt historique sans égal. Je porte la tasse à mes lèvres en grimaçant – je n’aime pas vraiment le café en fait, mais ça fait plus sérieux, et puis maintenant qu’il est fait, autant le boire – et me racle la gorge pour attirer son attention.

                « Bon alors ? C’était qui les types d’hier ? Et toi, qu’est-ce que tu foutais enchaîné au mur ?

                -Et ben… »

Alors ça, ça veut dire qu’on n’est pas sorti des emmerdes. Il a l’air de ne pas savoir. En fait, il a vraiment l’air complètement perdu. Il se tortille sur sa chaise, et la lumière blafarde de mon plafonnier accentue encore son côté cadavérique, le faisant ressembler à un drogué dans une salle d’interrogatoire.

                « Bon, laisse tomber. C’est quoi ton nom ?

                -Et ben… »

Et moi je suis l’inspecteur : je lui fais peur, ça se voit, avec mes questions, mes cheveux décoiffés, ma mine sévère – à part que je suis toujours en t-shirt long et petit culotte multicolore. Très sérieux tout ça.

                -Ton âge ?

                -Euh… »

Silence. Un silence qui veut vraiment tout dire.

                « Je sais pas. »

L’aveu mortel. 

                « Attends, tu vas pas me faire le coup de l’amnésie hein ? Ça n’existe que dans les films ! »

Vu sa tête, j’ai tapé dans le mille.

                « C’est une blague ? Tu peux rien me dire ? Où t’habite ? Un nom de famille ?

                -Je sais pas.

                -Et merde. »

Je le fixe, incrédule, m’adossant contre le frigo un peu bancal en soupirant. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Qu’est-ce que je vais faire d’un gosse sans foyer et sans identité ? La question est horriblement évidente : Mandy m’en voudra jusqu’à sa mort si je le mets dehors, et moi-même je me sentirais coupable, surtout si il se fait égorger en bas de l’immeuble ou qu’il se fait renverser par un bus, ou que sais-je encore. Je me pince l’arête du nez dans une tentative infructueuse de remettre de l’ordre dans mes idées.

                « Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? »

Le garçon tout pâle et maigre comme une fermeture éclair me regarde avec stupeur, comme si il ne comprenait pas la question. C’est peut-être un simple d’esprit. Il va mourir si je le mets à la porte. Je soupire de nouveau.

                « Bon. Tu vas rester ici. »

Comme ces mots me coûtent. Je m’étais promis de vivre seule quand j’ai quitté la maison où j’ai grandi, pour leur montrer que je pouvais m’en sortir. Par la suite, c’est devenu également un moyen de punir ma stupidité et ma fierté encombrante qui m’empêcherait à jamais d’y retourner. Je jette mon café froid à l’odeur écœurante dans l’évier en céramique, et mes mouvements hachés semblent le sortir de son mutisme.

                « Merci. »

Il ne dit rien d’autre. Juste merci. Pas de pourquoi, comment, vous êtes sûre, je ne voudrais pas m’imposer, je vais me débrouiller, vous me sauvez la vie, je vous en serais éternellement reconnaissant. Pas de fausse politesse en somme. Je dois admettre que ça me plait bien. Au moins ne fait-il pas preuve d’une hypocrisie gênante et inutile. Mais qu’est-ce qu’il me prend ? Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Je ne me reconnais plus.

                « Alors, première chose… Je m’appelle Stefane, et appelle moi Stef’. Si tu prononces mon prénom en entier, je te pends par le slip dans la cage d’escalier. »

                Il rit légèrement même si je ne plaisante qu’à moitié. Personne ne m’appelle par mon prénom, à part ma mère, parce que c’est celui qu’elle m’a donné et qu’elle voulait me nommer ainsi, en tout cas c’est ce qu’elle disait sans cesse.

                « Je vis seule ici. Je te permets de rester parce que tu as eu la chance de tomber sur Mandy – c’est la fille qui a apporté le petit dej’. Si je décide que tu me gênes ou que tu m’emmerdes, je te vire. 

                -Pourquoi tu m’accueilles chez toi si tu n’en as pas envie ? »

C’est vrai ça, pourquoi ? Il ferait mieux de ne pas demander s’il ne veut pas que je revienne sur ma décision celui-là. Je claque le placard où j’ai rangé ma tasse un peu  plus fort que nécessaire.

                « Parce que Mandy me fait ses yeux de merlan frit et son air de chien battu, et que globalement je n’arrive pas dire non à ses caprices. Disons qu’elle touche ma corde sensible.

                -C’est elle que je devrais remercier alors. »

C’est une question rhétorique qui n’appelle pas de réponse, mais elle m’agace suffisamment pour que j’ajoute :

                « Ouais mais en attendant c’est mon apart’ que tu squattes, alors écrase. »

Il sourit. Je ne suis plus sûre de l’âge que je lui donne exactement. Il n’est pas très grand – à peine 1m70 à vue de nez – ni très épais. Il est même plutôt frêle, une peau trop pâle, encore plus que la mienne, ce qui le fait ressembler à un préadolescent. Mais son visage pointu l’apparente plutôt à un jeune adulte, surtout ses yeux, grands et lumineux, oscillant entre le bleu, le gris, le vert, qui brillent d’un éclat intelligent. Je reviens sur mon jugement : c’est loin d’être un idiot.

                « Je vais à la fac dans le centre-ville, donc tu devras rester seul la journée. Je suppose que ce n’est pas la peine que je t’explique pourquoi il ne vaut mieux pas que tu sortes en plein jour – il acquiesce avec empressement – et je fermerais à clé derrière moi. Je te fais confiance. Je me demande bien pourquoi, mais je te laisse seul chez moi, tu as intérêt à pas faire le con. »

                Il ne dit rien. Je ne sais pas pourquoi j’accepte aussi facilement qu’il s’installe dans mon antre, moi qui suis d’ordinaire si méfiante et si peu sociable. Ça ne me plaît pas trop. Je n’ai pas envie de lui résister, et cette docilité me met mal à l’aise parce que ce n’est pas du tout dans mon caractère. Enfin je ne sais pas. Je verrais ça plus tard.

                « Ah, et au cas où tu n’aurais pas remarqué, il n’y a que le clic-clac pour dormir, donc on se le partagera. Ça ne te pose pas de problème ? »

                Il fait signe que non avec énergie, comme si il avait peur de me contrarier.

                « Tant mieux parce que sinon tu dors par terre. Enfin bref. C’est réglé donc. »

Je me suis réinstallé au comptoir, en face de lui. Le silence s’installe, un peu lourd mais sans tension. Après tout, nous sommes des étrangers l’un pour l’autre. Ça me dérange un peu d’ailleurs. Je l’ai déjà désigné par une demi-douzaine de qualificatif dans ma tête, mais je ne vais pas l’appeler « le crétin » et « l’idiot » à longueur de journée.

                « Faut que je te trouve un nom. 

                -Ah. »

Bon, déjà, ça n’a pas l’air de le perturber plus que ça.                                                                  

                « Tu n’as pas une idée ? Non parce que les types d’hier t’ont juste appelé le déchet mais je doute que ça te plaise alors… »

                Il sourit encore, mais il ne rit pas vraiment, et il ne parle pas davantage. S’il reste aussi silencieux, la colocation va s’en trouver grandement facilitée. Son visage est plus détendu maintenant, il semble un peu plus vivant que tout à l’heure.

                « Ça n’a pas vraiment d’importance. Choisi. »

Facile à dire. Donner un nom à un être humain, c’est vraiment étrange. Et puis ça n’a rien d’anodin. Même si c’est sans doute provisoire, le temps qu’il retrouve le sien, un nom a une signification, il porte une partie de notre identité. Chez nous, les noms ont toujours été source de moquerie et de crise de nerf, mais encore une fois, notre mère était là pour apaiser tout ça. Il balance ses jambes et son jean troué dans le vide – ses fringues sont dans un état déplorable, presque pire que les miens –, distrait, regardant maintenant le plafond en me signifiant clairement le peu d’intérêt qu’il porte à la question.

                Au bout d’une heure de délibération, d’idée jetée en l’air à la pelle et de refus successifs, nous tombons finalement d’accord. Je me poste en face de lui et lui tend une main aux ongles abîmées, dans un effort de courtoisie.

                « Et bien, bienvenue chez moi, Axel. »

Je sens que ce n’est pas son vrai nom. Mais il lui plaît. Il me serre la main franchement, amusé et reconnaissant. Sa paume est froide dans la mienne, tellement froide que je frissonne légèrement. 

                « Je vais appeler Mandy pour la rassurer un peu, et aussi pour qu’elle arrête de pleurer, et puis on mangera un bout. Tu veux quoi ?

                -Euh… Rien. C’est bon.

                -T’es sûr ? Ça fait plus de 24 heures que tu n’as rien avalé.

                -Je n’ai pas faim.

                -Bon, comme tu veux. »

Ça me semble inconcevable car je ne mange pas forcément des masses mais aussi régulièrement que possible, mais après tout, qu’est-ce que j’en ai à faire… Il faut que j’appelle mon boulet attitré. Je me mets en quête de mon téléphone portable dans la montagne d’affaire qui traine un peu partout autour du clic-clac, soulevant les fringues, les feuille de cours qui volent en tous sens, sentant le regard curieux d’Axel dans mon dos. Après ça, je m’enfilerais une pizza quatre fromages, et cette histoire me paraîtra tout de suite moins embarrassante.

 

A suivre.

 

Par Absynthe - Publié dans : Un Vampire? Non merci! Par Inrainbowz - Communauté : Auteurs Sadiques
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