Chapitre 1 : Une couleur mortelle
J'ai toujours détesté le bleu.
C'est étrange. Cette couleur symbolise tout ce que les humains aiment. L'eau, la pureté, l'innocence.
Pourtant, on pollue l'eau, salit la pureté, arrache l'innocence. Quand j'avais huit ans, ma mère et moi avons déménagé pour aller vivre avec son nouveau mari. J'eus une chambre bleue.
Ma mère l'adorait, elle trouvait cette couleur superbe. J'y dormais tous les soirs. Et tous les soirs j'entendais cette même phrase :
« Quelle belle chambre Owen, tu ne trouves pas ? Une si belle couleur. Pour un si bel enfant. Tu es beau Owen tu le sais ? Cela devrait être interdit d'être aussi beau. Tu es un pêché à toi seul Owen. Ce n'est pas bien, tu salis cette chambre. Tu salis ce bleu. Mais moi je suis là. Moi je suis avec toi. Je vais t'aider à faire ce que tu as commencé. Nous allons saccager ensemble cette pureté. Tu es d'accord mon petit Owen ? Ne dis pas non, ta mère serait si malheureuse d'apprendre ce que tu oses montrer à ces murs bleus… ».
Je déteste le bleu. Je déteste les paroles qui n'ont pas de sens.
Quand j'eus treize ans, ma mère quittât cet homme. J'ai tout oublié de lui jusqu'à son nom.
Mais jamais je n'oublierais ses yeux.
Bleus.
Et cette chambre.
Bleue.
Désormais j'ai dix sept ans. Et ma mère est morte.
Elle est morte hier dans un carambolage. Au volant de sa nouvelle voiture que je haïssais. Bleue. Je la vois encore, monter dans cette voiture, m'envoyer un baiser par la fenêtre avec son petit air sévère, ses longs cheveux d'ébène attachés en chignon stricte sur le haut de sa nuque hâlée. Une superbe espagnole. Elle partait au travail.
C'était un jour comme les autres.
Cela faisait une semaine qu'elle conduisait sa nouvelle voiture. D'occasion bien entendu. Nous ne roulions pas sur l'or. Une semaine et voilà qu'une voiture loin devant dans la file de l'autoroute avait perdu son enjoliveur.
La voiture la suivant avait donné un coup de volant pour l'éviter, avait percuté la rambarde, puis la voiture derrière elle, s'en suivit d'un bon gros accident englobant une vingtaine de voitures.
Je ne l'appris que le soir aux informations. Mon plat de pâtes sur les genoux, ma fourchette à hauteur de la bouche. J'entendais parler de cet accident, et je prenais encore plusieurs bouchées.
Jusqu'à ce que la caméra survole la zone, et que je reconnaisse la couleur de la voiture ainsi que le modèle malgré l'état déplorable du véhicule.
Je me jetais hors de l'appartement, dévalais les huit étages qui me séparaient du sol, -l'ascenseur étant toujours en panne comme dans chaque bloc HLM- et courais comme un dératé en direction de l'hôpital.
C'est finalement un ami de la cité que je croisais là qui m'y emmenât sur son vieux scooter trafiqué.
C'est ce même ami qui percuta de plein fouet une espèce de bourgeois anglais pure souche, pur roux, pur ultra pâle, pur ultra moche.
J'atteignais l'accueil...
On me dirigeait vers la morgue.
Je pleurais. Et cet homme revint.
Droit, froid. Insensible à ma peine. « Owen, je suis ton père ».
On me l'aurait racontée j'aurais pleuré de rire. Un peu comme Hakim à cet instant. C'était un rire nerveux, déjanté, presque fou.
Je savais qu'il était tout autant peiné par la mort de ma mère que moi. Je savais que son rire n'avait rien à voir avec de la joie.
« Attends vieux, t'as vu ta gueule ?! Tu crois vraiment que t'es le père d'Owen ?! »
Il le détaillait de haut en bas, une moue de dégoût réaliste mais caricaturée sur le visage.
« Sérieux mec, t'as un tronc d'arbre dans le cul, une tête de croque mort et tu sors que t'es le paternel de 'Wen ?!! T'as fumé la tapisserie d'un couloir entier ou quoi ?! Regarde le »
Il passe son bras autour des épaules de mon « père » :
« Ce mec, c'est un Hispanique, pas un Celte. T'enregistres ? Ou alors t'es albinos. C'est ça hein mec t'es albinos ».
Hakim repartit dans une crise de rire hystérique intense, si bien qu'une infirmière vint le chercher pour le faire sortir du bâtiment.
La suite se fit comme si j'avais eu un voile d'une femme en deuil sur les yeux. Tout était trouble.
Je me souviens du levé du drap, de mes larmes, de la dépouille...
On ne voyait plus que ses cheveux, mais je reconnaissais la fleur artificielle qu'elle piquait dans son chignon, je me souviens de m'être écroulé sur elle. Les mains dans son sang, le visage sur son corps brisé.
Brisé et glacé.
Toute chaleur avait disparu. Toute sa douceur s'était évanouie. Il ne restait plus rien de ma mère, sinon un cadavre déchiqueté. J'hurlais à la mort. Tout le monde s'agitait autour de moi.
C'en était fini de ma mère. De celle qui m'avait élevé. De celle qui m'avait aimé.
J'ouvrais les yeux dans une chambre jaune.
Ce n'était pas la mienne.
Une main chaude parcourait mon front, écartant les longues mèches brunes de mes yeux.
« Owen. Enfin tu te réveilles. Je suis désolé, nous sommes partis de ta ville, je suis passé chercher tes affaires chez toi. Nous sommes dans la banlieue d'Oxford à présent. »
« Vous… »
« Bryan Carlisle, ton père. »
« Ah… »
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