Dix neuf heures.
Le soleil se couche. La nuit se lève, m’emportant avec elle.
Je me redresse du fauteuil dans lequel j’étais enfoncée, téléphone à la main pour mon travail. Congé ne veut pas dire oubli. Et congé ou pas, je demeure l’assistante du légiste de la morgue.
Le pauvre a étrangement beaucoup de travail en ce moment.
Il doit identifier le type de couteau qui a été utilisé pour deux meurtres à peu près identiques. Il en vient à la conclusion que ce sont des couteaux de cuisine. Je ne vais certainement pas le contre dire.
Personne n’est assez bête pour gober que ces coupures ont été faites par un couteau de boucher ou de chasse. Lundi matin je me retrouverais face à mes œuvres. Mes horreurs.
Je frissonne et attrape une longue veste beige avant de me diriger vers le centre. J’ai besoin de lui.
Faites qu’il soit là. Il est la seule lueur, la seule lumière que je distingue dans ce monde obscur. Ma seule issue. C’est son visage qui me rend ma lucidité. Ce sont ses yeux qui me rendent la vie.
Sans lui je suis morte, et folle. Il est le seul à avoir entendu ma détresse. Mes cris silencieux.
Dans quelques jours mon nom sera dans les journaux.
Je ne me fais aucun espoir.
Je m’arrête devant la ruelle du bar, et m’y dirige rapidement, le cœur serré, les mains tremblantes. Je pousse la lourde porte de bois noir et pénètre dans cette atmosphère lourde et chargée en fumée. A peine le pied à l’intérieur je sais qu’il n’est pas là.
Je ne me sens pas mieux qu’avant. Alors que lorsqu’il est près de moi je sens une étrange chaleur, une étrange euphorie.
Un bonheur simple et doux. La tristesse m’envahit subitement, il n’est pas là…
Mes yeux glissent sur le tabouret abîmé sur lequel il était installé pour me parler. Je fixe le carrelage brisé, et revois nos pas hâtifs vers la sortie.
Je ressors rapidement du pub et glisse entre les maisons, évitant les passants. Il n’est pas là. Il n’est plus là. Le seul qui m’a donné cette impression de bien être absolu sans même me toucher, le seul…
Et je l’ai fait fuir.
Si cela se trouve il n’avait pas eu de chance dans sa vie et n’a simplement pas réussi à aimer une femme comme il le fallait. Si ça se trouve c’est ma faute, et uniquement la mienne ce qui m’arrive en ce moment.
Je suis seule et c’est ma faute.
J’ai crevé ma dernière bouée de sauvetage, arraché l’airbag avant l’impact, détaché ma ceinture avant le crash… Il était là et je l’ai fuit. Mes pas me guident directement au vieil immeuble sur le toit duquel nous avons passé une merveilleuse après midi…
« Je suis un monstre » me répétais-je en montant les escaliers les yeux presque fermés de tristesse. Je ne fais même plus attention à mes jambes, mes pieds me guident d’eux même, ils connaissent bien mieux ce sol que moi.
Quand bien même je passerais à travers ce plancher pourrit je n’aurais que ce que je mérite. Je suis un monstre.
Un monstre abandonné. Une bête immonde qui aurait pu redevenir fée si j’avais accepté son aide.
Je gravis l’échelle et me fige. Il est là, il balaye le toit du regard, cherche quelque chose ou quelqu’un. Je le fixe d’un air hagard. Il se retourne et me fonce dedans. Je regarde au loin.
Il est là, il est venu. Mes lèvres tremblent et je le regarde, si beau, si doux. Je craque et m’effondre dans ses bras, pleurant toutes les larmes de mon corps, murmurant des paroles incompréhensibles.
Il me caresse simplement les cheveux, m’installant au sol entre ses jambes. Je me niche dans ses bras comme un enfant perdu, il continue ses caresses du bout des doigts, séchant mes larmes au fur et à mesure qu’elles coulent.
Au bout de quelques minutes je me calme enfin, il est près de moi, c’est magnifique, il m’a manqué alors que je ne le connais pas. Le silence s’est installé entre nous, je me redresse légèrement et m’approche de son oreille, effleurant sa joue de mes lèvres avant de murmurer :
-Je m’appelle Layla Sparkson…
Mes lèvres effleurent son cou avant de remonter sur sa joue ou je dépose un chaste baiser. Il glisse sa main dans mes cheveux et m’offre le plus beau des sourires :
-Moi c’est Stéphane Meryl.
Nous sourions tous les deux et je me serre un peu plus contre lui :
-Je suis totalement et littéralement enchantée de te rencontrer Stéphane… J’ai l’impression que… Que tu es différent…
-Excuse moi pour la dernière fois Lay, murmure-il en posant ses mains sur mes hanches.
Je baisse les yeux :
-C’est rien… Je sais que tu n’es pas… comme les autres. Je le sens.
Je relève doucement les yeux vers lui, à nouveau embués de larmes :
-Tu ne me feras pas souffrir toi. N’est-ce pas ?
–Jamais. Je te jure que jamais je ferais quelque chose pour te faire du mal. Souffle-il doucement avant de déposer un baiser sur le coin de mes lèvres, puis un autre dans mon cou…
La lune nous éclaire. Je suis heureuse.
J’oublie tout avec lui… Une voix me crie au fond de moi que je suis niaise, que je me fais avoir, mais au diable cette voix! Je veux risquer encore une fois. Je veux me laisser aller dans l'enfer u'est l'amour encore une fois. Une dernière fois. Parce que...
Je l’aime