Cours ma grande, cours ! Mon cœur palpite dans ma poitrine, je n’entends que ses battements sourds autour de moi.
Mes pas pourtant rapides sur le carrelage jauni par les années se font silencieux. Je n’entends pas non plus ma respiration haletante, coupée lorsque je change brutalement de direction dans les couloirs de l’hôtel miteux. Encore moins les cris de mon amour dans la chambre que je viens de quitter.
Je sens mon sang pulser à mes tempes, son bourdonnement se répercute dans la tête, j’ai l’impression de n’entendre que lui.
Boum. Boum. Mes yeux et ma conscience travaillent à cent à l’heure. Mes yeux paniqués cherchent la sortie à toute vitesse.
Droite, gauche, Boum. Boum.
Au détour du dernier couloir mon poignet droit frôle un mur. Une simple caresse qui m’arrache un cri. Aussitôt tout revient. Le son, la douleur, la peur, la haine et l’amour.
J’arrête de courir et baisse les yeux vers mes mains tâchées de sang. De mon propre sang. Quelques gouttes tombent au sol, je les regarde s’écraser sur le carrelage.
Comme je les envie. Elles sont là. Etalées sur ce sol.
Nettoyées avec un balais sale d’ici quelques heures. Leur vie est finie. Et moi je dois continuer à vivre cette longue agonie.
Ma main droite ne ressemble plus à grand chose à présent.
Il m’a écrasé les os en me serrant contre le mur, l’attelle de résine n’a pas tenu le choc et s’est brisée net, les fibres se sont enfoncées dans ma peau.
A présent je peux remercier les inventeurs de cette nouvelle résine ultra solide, qui ne tient rien contre un homme, mais qui s’incruste parfaitement dans ma chair sous la pression des liens qui gardaient l’attelle en place.
Avec effroi j’observe les tiges de résine transparaître sous ma peau. Certaines enfoncées d’au moins un centimètre.
Je frissonne et relève les yeux vers le vieillard derrière son comptoir. Je le rassure d’un sourire, et le remercie brièvement avant de franchir la porte vitrée au pas de course.
Bien entendu il m’a fait comprendre d’un regard qu’il y avait quelque chose de différent hormis le fait que je ne sois pas accompagnée. Il est peut-être flic, mais moi je suis loin d’être une idiote et ce vieillard crado me protègera autant qu’il le pourra.
Alors oui. J’ai feint la surprise. Oui. Je me suis jetée dans la gueule du loup.
Espérant que cette fois il arriverait à me croquer et me briser la nuque. Mais non…
C’est lui ou toi, Lui ou Toi, me souffle une voix dans mon esprit.
Lui ou moi. Je refuse de lui faire plus de mal que j’en ai déjà fait… Et je refuse d’aller en prison. Libre depuis si peu de temps…
Et je devrais retourner derrière d’autres barreaux ?
Pas question. Pensez vous qu’un animal sauvage cherchera la laisse jusque dans la main d’un pseudo maître ?
Pensez vous qu’une bête maltraitée toute sa vie par les êtres humains retournera parmi eux ?
Non. Pas un seul instant.
Alors pourquoi pensez vous que je devrais me rendre ?
Accepter mes « erreurs » ?
Si vous pensez que c’en était vous n’avez rien compris.
Ils étaient des monstres. Ils l’ont mérité. La seule erreur était l’amitié entre Jim et Stef.
Ce n’est pas ma faute.
Mais la leur.
Jamais.
Jamais je n’irais en prison.
Ce n’est même pas concevable. La vie d’un animal sauvage c’est sa liberté. Il mourrait pour elle. Et je compte bien faire de même. Je la protègerai jusqu'à ma mort. Pas question que cette liberté me quitte maintenant. Si durement gagnée ma liberté…
Mes pas me mènent au parking de sable, mon sang coule sur mes mains, je tâtonne inutilement les poches de mon jean beige, le tachant au passage, mais le fait est là.
Je n’ai pas mes clefs de voiture. Pas de clefs, pas de voiture. Pas de voiture, pas de fuite possible. Pas de fuite possible…
Prison.
Je suis là, au centre de ce parking, les pieds ancrés dans le sable jaune, mon pantalon beige se tâchant allègrement de mon sang, mes bras nus entièrement rougis, tout comme mon haut.
Une brise polluée fait voleter mes cheveux, je regarde tout autour de moi. Mon regard glissant sur cet hôtel sans le voir.
Sans prêter attention un seul instant à l’homme qui va en sortir, plus mauvais que jamais.
Je. Ne. Veux. Pas. Perdre. Ma. Liberté.
J’avise un instant la voiture de mon homme et m’avance vers elle avec un bref espoir qu’il ai laissé ses clefs sur le contact. Mais non. C’aurait été trop facile.
Une de mes mains glisse sur le pare choc brûlant, longeant la carrosserie pour s’arrêter au dessus de l’un des pneus, laissant une longue traînée de sang repeindre partiellement l’automobile.
Ma seconde main se faufile dans mon dos, sous mon t-shirt, avisant le couteau attaché dans le bas de mon dos, juste dans le creux de mes reins, et le tire d’un coup sec, avant de le planter dans le caoutchouc qui se perce et laisse échapper son air.
Un autre pneu subit le même sort jusqu'à ce que des pas pressés la fassent relever la tête vers la porte de l’hôtel.
Il est là.
Le visage rouge de colère. Un grondement sourd s’échappe de sa gorge avant qu’il hurle à travers le parking :
-Sale conne !
Ne pouvait il pas rester dans cette chambre à se tenir l’entre jambe quelques minutes de plus ?!
Je veux répondre mais rien de s’échappe de ma gorge sinon un feulement de colère. Un véritable feulement de haine.
Pourquoi maintenant ?! Pourquoi ne m’as tu pas laissé quelques minutes de plus, que j’ai le temps de me sauver ?!
Il est un danger pour toi. Danger pour ta liberté. Danger pour ce qu’il y a en toi !
–Rrraaaahh !!!
La haine me fait lancer le bras dans sa direction. Au bout de mes doigts se trouve le poignard que je tenais un instant plus tôt.
Ce même poignard franchit les quelques mètres qui nous séparent, tranchant l’air en un sifflement aigu. Un rapide mouvement sur le côté sauve la vie de mon amour mais pas son visage.
Le couteau se plante dans une des planches de bois de la bâtisse. Stéphane se tient la joue et se redresse lentement vers moi. Il écarte ses doigts de sa chair et observe sa peau couverte de sang.
Son regard se fige dans le mien, et je l’observe, balafré, coléreux, haineux, mais si beau. Du bout des lèvres je murmure :
-Dé-so-lée.
Et commence à faire quelques pas en arrière, visant une sortie piétonne du parking.
Un chemin caillouteux qui monte vers une colline boisée. Du coin de l’œil je le vois retirer le couteau de la planche dans laquelle il s’était fiché, et s’élancer à ma poursuite.
–Reviens ! Chérie ! Mon cœur, mon amour. Tu viens d’essayer de me tuer, attends moi, que j’essaie à mon tour.
Un rire acide s’élève tandis que je me mets à courir sur le sentier. J’entends derrière moi le bruit d’une arme qu’on enclenche.
La voix dans ma tête me hurle d’aller plus vite. Je ne peux pas m’arrêter. Un coup de feu retentit, une balle siffle près de mon épaule. Je sursaute et cours de plus en plus vite.
–Mais attends moi mon ange ! Attends moi qu’on s’amuse tous les deux !
Liberté. Liberté.
Je ne tiendrais plus longtemps.
La folie qui m’habite semble avoir fait un nouvel adepte. L’homme que j’aime devient aussi fou que moi.
La personne à qui je me raccrochais est comme moi. Nous sommes fous. Tous deux fous de colère et d’amour.
Deux anges brûlés par la passion et par la haine de ce monde.
Qui sommes nous finalement ?