Rêves d'Absynthe
Il était encore tôt. Nous n’avions plus de montres ou d’horloges depuis longtemps.
Tout ce qui était métal avait fondu, même sur leur propriétaire.
Le soleil venait à peine de se lever et nous partions déjà du campement pour aller chercher de la nourriture pour les autres.
Voilà deux semaines que ces monstres ont ravagé notre ville. On y était bien pourtant, plusieurs milliers d’êtres humains. C’est vrai qu’il y avait des inégalités, des gens pauvres, des morts, des femmes battues. Mais dans l’ensemble la vie était belle.
Aujourd’hui je me retrouve là avec une quinzaine de survivants, de rescapés. Coup de bol ou pas, les vieux et les blessés sont morts durant les premiers jours.
A présent nous sommes une bande, une tribu de jeunes. Aucun ne le montre, mais nous sommes morts de peur.
Ces cavaliers fouillent les forêts et les vallées à la recherche d’êtres humains à torturer.
Mais ce matin il fait beau. Certains d’entre nous sourient même. Quant à moi je foule ce sol détrempé avec plaisir, il n’y a pas eu de bagarres depuis quelques jours, nous allons enfin pouvoir entamer une reconstruction.
Quelque chose, un abri n’importe quoi, car sans ça nous ne passerons pas l’hiver.
–Hé ho Kaelith, tu rêves ?
Kaelith, oui, c’est bien moi. Bien sur que ce n’est pas mon nom de naissance. Mais comme tout le monde ici, je modifie mon nom.
Il n’est plus question de nom de famille, de ville d’origine. Nous ne sommes plus rien désormais.
Plus rien n’est comme avant. Certains regrettent, moi j’estime que c’est une bonne chose. Nous avions besoin de changement.
Peut-être pas aussi radical, mais désormais c’est fait.
–Heu oui excuse moi, je rêvais…
Je replace vivement une mèche de cheveux noirs de gai derrière mon oreille.
Son nom ? Aucune idée, et à vrai dire je m’en contrefiche. Il ne vivra plus longtemps je le sent.
De toute manière il m’agace avec ses grand yeux en amande qui me scrutent tout le temps, je ne comprend pas pourquoi il me regarde ainsi tout le temps.
Le pire c’est que je n’arrive jamais à m’empêcher de rougir bêtement. Je baisse les yeux vers lui, il est plus petit que moi, d’une tête au moins. C’est vrai que je frise le mètre quatre-vingt.
–Qui a-t-il ?
–Rien je voulais juste te voir troublé, t’es tellement mignon quand tu tripotes tes cheveux.
Il m’agace… Je fronce les sourcils et passe ma main sur le visage de consternation pour masquer ma gêne.
Ca y est il recommence son sourire colgate. Il m’énerve.
Quand il sourit ainsi je peux voir ses lèvres pulpeuses dévoiler ses dents impeccablement blanches. Je détourne les yeux, nous approchons de la plaine. Elle est dangereuse en journée, les cavaliers passent de temps à autres.
–Bon dieu de merde c’est quoi CA ?!
C’est un autre du groupe qui s’est exprimé. Celui là je ne l’aime pas, mais alors pas du tout. Il reluque tout le monde avec un œil de boucher.
Et en plus il s’énerve tout le temps.
Je suis son regard dans la plaine et me fige.
Spectacle incroyable, un énorme cheval d’Outre Terre se promène sans cavalier.
Il trottine gaiement comme un poulain que l’on vient de sortir du box. Je ne le quitte pas des yeux. J’en avais déjà vus des grands mais celui là surpasse tous les autres par sa musculature !
Nous nous avançons, les montures de ces Choses ne nous ont jamais fait de mal. Elles semblent passives.
Un éclair jaune me parvient. Il nous a vus.
D’ailleurs il s’immobilise.
–C’est quoi ce truc ?!
Le truc en question semble être un humain. Il s’immobilise et regarde dans notre direction. Il parle avec l’étalon. Génial, un être humain timbré.
–C’est une femme !
Oh non… Pas ça… Tout
mais pas ça..
-Al Hataal, pourquoi ils nous regardent comme ça ? –Ils nous regardent comment ?
–Ben je sais pas trop y en a un qui m’a l’air consterné, un autre inquiet, et les cinq derniers sourient comme un chasseur ayant acculé sa proie.
–Ne t’inquiète pas vous êtes de la même race…
-C’est pas ça qui les empêchera d’être mauvais Al Hataal… Les humains ne font pas de différence.
Dainsleifin, fronça les sourcils. Prise d’un doute elle défit Dainsleif de son fourreau improvisé et la tint d’une main.
La lame scintillait sous le soleil, les sept hommes s’immobilisèrent. L’un d’eux, celui qui avait l’air consterné auparavant sembla rassuré.
Il murmura quelque chose à ses voisins et intima l’ordre aux ordres de faire demi-tour avec un petit sourire de soulagement.
Ils ne pourraient pas la toucher, elle était armée et eux non. Le Meshamhaan se tenait droit aux côtés de la jeune femme et ne pipait mot, il semblait s’impatienter.
– Aby on n’a pas le temps pour ces enfantillages, soit vous parlez, soit on s’en va.
La jeune femme leva vers lui des yeux surpris et répondit à voix haute.
–M’enfin attend, c’est les premiers survivants que j’aperçois et tu voudrais que je ne leur adresse pas la parole ?
–Sisi adresse leur la parole mais DEPECHE TOI !
–Rah ça va ça va hin.
Les hommes avaient interrompu leur demi-tour en voyant la demoiselle parler à un animal. L’un d’eux ricana:
–Hahaha, elle est complètement timbrée !
Elle tourna le regard vers lui et le détailla de haut en bas avec un regard plus que dédaigneux qui lui fit froid dans le dos.
–Tu peux répéter tas d’os ? Intima-elle, plus que menaçante en faisant un pas en avant, imitée par l’étalon.
–Hé bien je disais que…
-On va y aller, tu la laisse tranquille Roehn, ordonna d’une voix claire l’homme aux longs cheveux noirs.
–Mais…
-Il a dit qu’on y allait, alors on y va et tais toi maintenant, dit un autre, plus petit avec des magnifiques yeux en amandes qui ne semblaient s’intéresser qu’ Kaelith.
Ils firent lentement demi-tour, lançant des regards haineux vers la jeune femme et son épée. Cette dernière remis l’épée à sa taille, et grimpa en selle. Kaelith se retourna et lui fit un geste de la main auquel elle répondit d’un hochement de tête.
Elle murmura à Al Hataal d’avancer et il partit au petit galop. Quelques instants après elles ne pouvait plus voir les hommes : « Géniaux les survivants tu trouves pas mon beau ? »
-Personnellement je ne comprends pas pourquoi ces rapports ont été aussi antipathiques.
–Hm c’est assez simple dans l’ensemble. Les êtres humains estiment que selon l’age, le sexe, la couleur de peau ou l’origine sociale, un être a plus de raison qu’un autre de briller et d’être respecté. Tous sont de la même race mais ils semblent avoir toujours besoin d’un rapport de force entre eux. Quand bien même nous serons tous de la même couleur de peau et de cheveux, ils feront une séparation par rapport à la couleur de nos yeux. Lorsque nous serons tous clones, ils chipoteront sur le territoire d’origine. Et le jour ou tous les êtres en vie, seront identiques et nés au même endroit au même instant, ils trouveront un gène ou une pensée qui les différencient et se feront à nouveau la guerre.
–Vu comme ça je comprend mieux, mais j’aurais pensé qu’avoir un ennemi commun les aurait ralliés.
–Je pense que face à l’ennemi ils seront tous sur le même pied d’égalité oui, mais une fois le danger passé, la fierté et l’orgueil reprendront le dessus. Mais dis moi Al Hataal, pourquoi t’intéresse tu d’un coup à notre race ? D’habitude tu t’en contrefiches, de moi comme de mon peuple.
–Tu veux la vérité ?
–Oui je veux la vérité.
–Très bien… Il soupira. C’estjustequej’entenddescrisetdespleursetjesupposeà justetitrequ’ilssesontfaitsarrèterpardescavaliersmaisvuquetunesaisabsolument pastebattrej’aipasenviequetumeuresmaitenantvuqu’iln’yapersonnedignedemoi. L’air sembla s’alourdir d’un coup, l’étalon pouvait sentir monter la colère en sa cavalière.
Bien qu’il avait débité cette tirade à toute allure dans l’espoir qu’elle n’y comprenne rien, elle avait saisi l’essentiel, et l’immobilisa d’un coup sec.