Rêves d'Absynthe
Ce vieux toit pourri a vu défiler toute ma vie. A défaut d’un véritable homme j’ai un toit. Magnifique.
Un toit, une belle vue, et un cœur brisé. Les larmes défilent sur mes joues, rendues glacées par le vent.
Cela fait des heures que je suis là, debout, appuyée sur la seule et unique rambarde de ce fichu toit.
Je finirais peut-être ma vie dessus… Qui sait.
Je n’en peux plus de pleurer, pourtant je ne peux pas m’arrêter. Je suis un monstre. Il est un monstre.
Non. Il est mon Dieu.
Je revois le visage de Carlos, mi-inquiet mi-tendre lorsqu’il me l’a annoncé. Quelques secondes après que Stef soit remonté, Carlos est venu me trouver, il avait oublié son portable sur l’un des bureaux. Tu parles. Je ne suis pas forcément une lumière, mais le coup du portable oublié ça sent l’excuse merdique.
Pour qui me prends tu misérable flic ?
Je suis celle que vous cherchez depuis des jours et des jours. Celle qui vous mène en bateau depuis le début… Celle qui vient de découvrir que l’homme qu’elle aime est celui qui veut la mettre derrière les barreaux.
Mais allons, je continuais de jouer la gentille légiste, acide et froide et lui lançait un coup d’œil en biais. Parlant assez fort pour qu’il l’entende alors que j’avais les mains plongées dans le sang d’un de mes patients :
« Quand on a pas de neurones on a des jambes. Et là, vu la taille des tiennes ça doit être le vide intersidéral dans ta tête mon gros ».
Gamin. Vanne pré pubère, mais qu’est-ce que ça soulage de sortir des niaiseries de ce genre là. Je sais qu’il l’a entendu.
N’importe qui se serait vexé, énervé, et m’aurait insulté avant de se faire rabattre le caquet par une réplique cinglante. Mais lui non. Trop gentil je crois.
Faible ?
Peut-être pas. Gentil oui. Ca doit être sa force à lui.
Je l’ai sentit s’approcher de moi et s’arrêter à quelques pas :
-Mademoiselle ?
Je me sens faible d’un coup. Il se moque de moi. Gentil. Gentil. Gentil. Poli, sympathique. Rah ! Si je pouvais je me fracasserai le front sur ce qui se trouve devant moi.
Manque de bol, là c’est mou, sanglant et mort. De quoi faire passer certaines pulsions.
–Vous êtes encore là ? L’inspecteur doit vous attendre, il ne faut pas oublier qu’il a une vilaine meurtrière à mettre derrière les verrous !
Je me retourne lentement au fil de ma tirade, les yeux fixes, les mains pleines de sang. Je penche légèrement la tête sur le côté, et étire un semi sourire plus que glacial.
–Justement. Vous semblez… Proches tous les deux. Je sais que je ne devrais pas vous en parler. Mais je n’ai jamais vu l’inspecteur avec une femme de votre trempe auparavant. Donc je me dis qu’il doit y avoir plus qu’une histoire de cul entre vous.
Je cligne des yeux, l’air toujours impassible. Je le fixe, cet abruti marque une belle pause dans sa tirade, de quoi installer le suspense et être sur que je suis à l’écoute. Allez crétin, je n’ai pas que ça à faire… Il inspire calmement :
-J’aimerais que vous preniez soin de lui. Il vit une période difficile. Et l’affaire sur laquelle nous sommes est de loin celle qui le touche le plus. Son meilleur ami fait partie des victimes.
Mes yeux s’écarquillent de stupeur. Pas ça…
-Le tout premier mort. C’était la seule personne qui le rendait humain. La seule personne à qui il se livrait. C’était son ange gardien en quelques sortes. Et cet ange s’est fait buter par une folle dingue en mal d’amour. Vous vous en rendez compte ?! Vous comprenez ce que je dis ? Il ne reste plus que vous désormais… Faites attention à lui je vous en prie. Il est fragile, il a un cœur d’or caché derrière sa froideur et sa folie.
Je murmure pour moi-même en me tournant vers mon cadavre :
-Et moi la folie planquée derrière un cœur d’or…
-Mademoiselle ?
Je lui fais un vague geste de la main :
-Vous connaissez la sortie. N’oubliez pas votre veste sur le dossier de ma chaise cette fois…
J’entends un hoquet stupéfait, oui je suis dos à lui, oui je suis dos à cette chaise, mais je ne suis pas sourde.
Il s’éloigne et remonte à la lueur du jour. Quant à moi je reste là, entourée de mes morts, mes proies, mes amours. Je me glisse dans une seconde chambre froide et m’approche d’une civière, retirant le drap je me penche vers Jim.
Enfin ce qu’il en reste.
–Ange ? Ange déchu. Je t’ai coupé les ailes. Et j’ai coupé le filin qui maintenait la joie de vivre de celui que j’aime par la même occasion. Je te hais Jim ! Je te hais de tout mon cœur et toute mon âme. Si tu n’avais pas été un salaud mon véritable amour ne serait pas perdu désormais…
Je cligne des yeux, je suis sur le toit.
Mes larmes se sont arrêtées. Je me suis promis de tuer celui qui t’a rendu si malheureux Stef. Je me le suis promis.
Je m’avance doucement vers le bord de l’immeuble.
La pointe de mes pieds est déjà dans le vide. Mon cœur s’emballe. Je ne veux pas mourir. Quelque chose dans mon ventre me retient.
Quelque chose dans ma tête me hurle de ne pas le faire…
Pourtant…