Rêves d'Absynthe



Il est dix  heures  du matin, hier  19heures, j'ai quitté mon inconnu. A minuit je suis sortie. A trois  heures je  suis rentrée. C'est du passé désormais... Et pourtant je ne fais que ressasser ma soirée:

 

L’air est lourd.

Chaud  et  lourd. Il n’y a  pas  de  vent, pas  le  moindre  souffle  d’air  qui effleure ma peau.

Pourtant lorsque j’ai claqué ma portière devant le Golden, des feuilles voletaient au loin. Des  papiers  roulaient, étaient soufflés par le… Par  le  vent. Mais  pour moi il n’y en avait pas.

Ce  n’était que l’avant tempête, le calme lourd et insupportable de l’avant tempête. Je… J’ai l’impression de m’observer agir tout en étant assise derrière une vitre.

Une  partie  de  moi est là, claquant ses talons aiguille sur  les  pavés gris, un déhanché de félin, tendant la main au videur avec  un sourire  on ne peut plus  charmeur avant d’entrer dans cette boite de nuit. Mais  moi, la  véritable  moi, elle est là, elle réfléchit  à 100 à l’heure.

Qu’est ce que je fais ? Mon dieu aidez  moi à reprendre le contrôle de cet animal. Ce  danger. 

 

L’air est lourd.

Chaud  et  lourd. Il n’y a pas de vent, pas le moindre souffle d’air qui effleure ma peau.

Les  fumigènes tièdes glissent sur mes jambes, mais  ne  sont  pas  du vent. Des  souffles chauds d’hommes en rut épousent l’espace d’un instant la peau de mon cou. Comment faisons nous pour accepter que ces haleines fétides, chargées d’envies et de pulsions, puissent nous toucher ? Comment osent ils nous regarder ?!

Ces  hommes. Tous venus pour  la  même chose.

Ces hommes, tous plus  immondes  et  hypocrites les uns que les autres. Certains  diront qu’ils  ne sont venus  que  pour  danser, mais  leurs yeux… Leurs  yeux  ne mentent  pas.

Les yeux ne  mentent jamais.

Ils  sont  indépendants  de  notre  folie, de  notre  capacité  à cacher  des choses, à démentir des  faits. Ho non, pas  l’expression de  nos sourcils. Pas  le  jeu de  nos  paupières. Rien à voir avec  les  battements de cils. Simplement  nos  yeux. Notre  iris, notre  pupille.

Au fond  de  cela  on voit  tout.

 

Je me vois me glisser à travers la foule, un pied devant l’autre, une démarche assurée. Les danseurs s’écartent sur mon passage. Mon regard ne doit pas  être si agréable que ça.

Je m’immobilise un instant et me met  à me déhancher au rythme de la musique. Lascive, délicieuse. Je le sais  car  je me  vois. Insupportablement lascive. Pourquoi me  suis-je arrêtée  là bon dieu ?!

Pourquoi suis-je en train de danser alors  que  je déteste toutes ses coutumes visant  à se  rapprocher les uns des autres tout en se  voilant la face ?!  Un sourire  suffisant s’est installé sur mes lèvres, je jette des regards  à droite  à gauche, invitation à ces  mâles.

L’un est Mathias. Il m’a reconnue  apparemment. Je l’observe du coin de  l’œil, il me regarde. Il est surpris. Ce changement de comportement semble l’étonner. Normal. Qui aurait dit  que cette  femme si sage, si rangée, presque  vieille avant l’age se permette d’être  une  invitation pure et  simple  au sexe. Je semble  avoir  tout prévu.

L’allumer  lui seul n’aurait pas été un chalenge, et il ne  se serait pas approché. Il en faut  un second. Mon regard se fixe sur  un blondinet  assez  mignon, déchaîné sur le  bar et  non sur la  piste. Ce dernier me fixe, Mathias  en fait de  même.

J’invite chacun d’eux  à me  rejoindre  d’un simple  regard. Ils hésitent je le vois. Finalement ils se décident tous deux au même  instant, je m’avance vers  le blond et me met dos  à lui, dansant collé serré, sans  quitter  Mathias du regard. Il cligne  les  yeux  d’indignation et m’agrippe le bras, m’attirant à lui. C’était  trop facile. Je  connais  la  technique, pas  besoin de  pratiquer souvent  pour s’en sortir.

A présent on passe aux  choses sérieuses. Il ne faut pas  qu’il parle, je ne pourrais pas suivre. Je rends ma danse  de  plus en plus  langoureuse et expressive, tout  le  monde  nous regarde. Ce  n’est pas  de  la danse. C’est du sexe. Enfin je le sens souffler dans mon oreille ces quelques  mots  tant attendus : « On va  chez  moi ? ».

 

L’air est vif.

Brûlant et violent. Il caresse ma peau, glissant dessus, la  nettoyant de toutes ses horreurs. Je jette dix  bouts de gants dans une  poubelle éloignée de son appartement. Uniquement ce qui englobe mes empreintes. Je leur  ai laissé des mitaines.

Mes  talons claquent sur les pavés tandis que je remonte  une fois de  plus  dans  ma  voiture.

Je  souris à mon rétroviseur, un sourire  machiavélique. Mais mon reflet ne me renvoie que la partie de moi enfermée au fond de  mon être. La  partie  raisonnée. Celle qui a  hurlé durant des heures, suppliant la première d’arrêter.

Je  continue  de  rouler, ignorant cette femme faible, implorante.  Mon sourire  ne faiblit pas.

Tout être  vivant est artiste en soi. Ce soir  cet abruti, ce  miséreux, ce  salaud  a  fait de son corps  une  œuvre d’art. Je le revois  encore, étendu nu sur ses draps, les bras et les jambes en étoile.

A chaque extrémité de ses membres une traînée de sang, se  prolongeant sur le lit, descendant sur la moquette et remontant sur les murs. Il était plus beau que  jamais.


 

On dit  que  la  mort  effraie. Moi elle m'exite.
Ven 12 sep 2008 Aucun commentaire