Rêves d'Absynthe

Je me lève vers midi.

Ne  croyez pas  que  me  lève de  mon lit, et que  j’ai dormis comme  une enfant bien heureuse. Je  me lève de  ma  terrasse sur laquelle j’ai passé le restant de la nuit après mon retour de  chez MON homme.

De  toute  manière  à présent  plus  personne  n’en voudrait. Donc il est à moi, je doute  que  quiconque ose me dire le contraire.

 

La  pluie  a  continué de tomber  jusqu’environ six  heures du matin, la ville s’est dégagée de son aura grisâtre et  a  laissé  place  à un silence de  mort. C’est le  cas  de  le  dire.

Je  ris silencieusement avant de  laisser  place  aux  doutes. J’ai tué  un être  humain. J’ai tué  l’homme que  j’aimais.

 

Le  soleil se  lève  doucement dans le ciel, laissant  apparaître aux yeux de tous, une ville  dévastée par les vents et la pluie. Je suis  son identique.

Accroupie sur  un coin de la terrasse les  cheveux humides, méchés en paquets, emmêlés au maximum, tombant sur mon visage comme un voile de deuil d’une  veuve éplorée.

Cependant la veuve a un sourire tendu aux  lèvres, une  veuve sombre, une  veuve sombrement heureuse. Mon homme  est mort, mon homme est mort et  je  suis sauvée. Toutes  les femmes à qui il aurait  pu briser le cœur sont sauvées. Si cela  se trouve, j’ai sauvé des  vies, la  mienne  en premier.

Le  soleil éclaire  ma  peau blanche, un rayon glisse sur l’un de  mes iris, illuminant mon regard, brandissant une ribambelle de couleurs et de surfaces différentes, je le sens le caresser la peau, le  visage  entre mes  cheveux. Il réchauffe  mes  bras glacés par la nuit. Mes  jambes  nues  reposent dans  la  flaque d’eau de  pluie  qui s’est formée sur le sol, des feuilles  mortes  se  collent à ma  peau, éclairées par le  miroitement de l’eau révélant chaque couleur et la faisant étinceler.

Ma  petite  robe  noire toute  plissée  est bonne  à jeter, abîmée de  partout  après m’être étalée dans les escaliers…

Doucement  j’entends la  ville reprendre  son souffle  et  recommencer  à vivre. Une  tempête essuyée, un mort  découvert, la  vie continue  son cours. Les  sirènes d’ambulances ou de  police commencent  à me donner une sérieuse migraine, et je me lève enfin.

En pénétrant dans l’appartement je jette  un coup d’œil à l’horloge, midi. Je me dirige  vers  la douche et me glisse  sous l’eau chaude, appréciant la plus  délicieuse des caresses que j’ai connues jusqu’alors.

Aucun homme  ne m’a jamais  donné  cette  sensation de  douce  euphorie, de  caresse continue  jusqu'à que je décide de la stopper, de  confort sans  limite. Aucun n’est capable de  me rendre heureuse puisqu’il part  toujours avant que je l’aie décidé.

J’attrape un treillis gris foncé ainsi qu’un haut blanc près du corps et me dirige vers la cuisine pour me préparer  à manger. J’avoue que jusque là ma  vie ne semble pas  avoir  changé mais…

-Mince…

Je  pose  ma main sur  mon front et fronce les  sourcils. Je  n’ai plus  le  couteau dont je souhaitais me servir pour couper cette fichue viande. Je respire et ferme les  yeux, je ne  sais même plus ce qui m’ennuie le plus, avoir  tué  un homme  qui de toute manière en avait fini avec  moi, ou bien avoir  abandonné mon couteau favori, qui lui ne  m’aurais jamais laissée seule, et  dont  j’ai toujours  besoin.

D’un point de vue  pratique  je crois que  c’est le  couteau…

J’écarquille les yeux  de  stupeur face  à mes  pensées. J’ai tué  un homme, et  je  ne  pense  qu’à des  choses  matérielles.

J’attrape vite mes clefs et  mon sac à main, me  maquillant  un minimum et  sors  dans  la  rue afin de  me  changer les  idées. Avant tout j’emmène ma voiture au shampouineur pour  la  nettoyer de toutes les feuilles amassées sur sa carrosserie, et par la même occasion des  quelques traces  de  sang sur la portière.

Quelques minutes plus  tard  je  m’engage dans  une  ruelle et  pénètre dans  un vieux  bar assez  sombre.

L’ambiance se  veut chaleureuse mais  l’état de la tapisserie et des sièges ne le rend que glauque.

Je  m’installe  promptement au bar, posant mon divin popotin sur  l’affreux tabouret toujours casse  pied à escalader et commande un pastis sans  un sourire  au serveur pourtant bien mignon qui semble  me faire  une  œillade complice.

Complice de  quoi ? D’avoir remarqué  qu’il était  beau ? Ca mon chou tout  le  monde  l’a remarqué.

Et  ce  que  je  remarque  aussi c’est  que  tu dois  être de  la  même  trempe  que  Jim et tous ses prédécesseurs. Les heures passent  et  j’enchaîne verre sur verre, méditant  sur mon passé, mon acte et  mon avenir. Je  l’ai tué… J’ai tué  un homme.

Non jamais cela  ne  sortira d’entre mes  lèvres, j’en fais  le  serment.

Il le  méritait.

Tu le  méritais.

Je t’aime.

Je t’aimais.

Ils le méritent.
Mer 10 sep 2008 Aucun commentaire