Rêves d'Absynthe
Le Meshamhaan glissa doucement son bout du nez dans la paume blanche de la jeune femme, soufflant faiblement dedans, essayant de la réchauffer. Les doigts fins et glacés s’appuyèrent lentement sur la peau noire de l’étalon avant de redescendre et de retomber au sol.
Ses yeux se dirigèrent vers les deux êtres humains encore sur la plage. L’un toujours étalé sur le sable, l’autre toujours tremblant qui semblait observer le spectacle derrière une vitre d’un parc d’attraction.
Et vu l’écart entre sa mâchoire supérieure et inférieure à cet instant, le spectacle devait le surprendre. Une lueur passa dans les yeux d’Al Hataal, un voile de clarté masqua ses yeux, ces derniers grandirent en intensité et le jaune présent dans ses iris vira au doré étincelant.
Les visages des humains changèrent une nouvelle fois d’expression, leurs sourcils se froncèrent et comme un seul homme, ils se redressèrent et détalèrent en courant en direction de leur camp qui se trouvait à bien deux heures de marche. Une fois hors de sa vue l’étalon reporta une nouvelle fois son attention sur la jeune femme qui se trouvait devant lui.
Ses vêtements s’étaient déchirés dans l’eau, dévoilant sa peau nue striée de blessures légères. Des nombreux hématomes coloraient son corps. Le passage à travers les débris flottant devant la crique avait été difficile.
Dainsleifin fixait le ciel au dessus d’elle, alternant nuages blancs et étalon noir et marron. Un doux sourire naquit sur ses lèvres lorsqu’elle vit que son ami semblait s’être roulé dans le pire bourbier qu’il avait pu trouver dans la région. Ses poumons la faisaient souffrir, ils semblaient brûlés de l’intérieur. Sa respiration était faible, difficile.
Toute sa gorge la brûlait, chaque goulée d’air irritait son corps, et massacrait ses côtes.
Si un troupeau de vaches m’était passé dessus je ne m’en sentirais pas plus mal pensa-elle avec un nouveau sourire. La bête poussa son visage du bout du nez, et s’agenouilla délicatement à côté d’elle, avant de s’allonger entièrement, lui présentant la selle et l’épée à portée de bras.
D’un mouvement douloureux elle tendit la main jusqu'à toucher l’épée du bout des doigts, avant de les laisser glisser sur la garde, savourant la sensation du cuir sous son épiderme. Elle referma sa main sur la garde et tira lentement l’épée à elle. L’étalon se redressa et la fixa un instant.
–Quoi ? Finit-elle par demander.
–Tu m’as fait une sacrée peur.
–Dans ce cas nous sommes deux Al Hataal.
–Je ne sais pas si je vais le regretter mais… Je suis bien content de te revoir.
Un immense sourire s’épanouit sur les lèvres de la jeune femme, mais avant qu’elle ai pu ajouter quelque chose l’étalon reprit.
–Bien entendu, ce n’est pas une raison pour que tu te remettes à parler sans arrêt.
Il s’éloigna de quelques pas, puis se retourna sur le corps allongé :
-Je n’ai rien trouvé pour te nourrir mais apparemment l’un de ces humains a prêté une grande attention aux buissons qui sont de l’autre côté de la plage.
La jeune femme hocha de la tête et fit mine de se relever avant de chuter sur le sable, épuisée.
–Je… Je crois que je vais un peu dormir avant…
-On a pas le temps pour ça Dainsleifin… Accroche toi à moi on y va.
C’est ainsi que deux heures plus tard, l’étalon galopait en direction du Sud, ne prêtant aucune attention aux quelques habitants qui les regardaient passer à toute allure, bouche bée.
Les paysages défilaient, et Aby reprenait peu à peu des forces, alternant sommeils réparateurs et grignotage de fruits trouvés en chemin. La journée avançait rapidement, Al Hataal ralentit son allure pour reprendre son souffle, et sa cavalière marchait à ses côtés pour se dégourdir les jambes.
Elle s’aperçut avec joie que la plaie au niveau de sa cuisse se refermait, et avait été littéralement rongée et nettoyée par le sel de la mer. Le couple avançait donc sur un chemin dégagé, à l’ombre d’une montagne qui n’avait plus que le sommet éclairé par le soleil.
Dainsleifin observait le paysage, une lueur d’admiration dans les yeux. La région était véritablement magnifique, fleurie, parfumée, délicieuse. Une forme au sommet attira son attention.
–Al Hataal regarde ! Je crois que c’est… Oui ! C’est un cheval de montagne ! Ils ont survécu ici ! S'exclama-elle, rayonnante.
L’étalon tourna le regard vers la forme et murmura :
-Oui c’est bien un cheval, petit, trapus, un cheval de randonnée, mais Aby… Il n’est pas seul ! Un humain est avec lui. Et vu ce matin, je doute que les gens d’ici soient franchement amicaux.
–Mais non Al Hataal, je suis sur que…
Un son strident déchira le silence de la vallée. De quoi réveiller les morts pensa-elle. Le Meshamhaan se jeta sur elle :
-Un cor ! Vite grimpe, on s’en va !
La cavalcade reprit à grande vitesse, éclairée par le soleil couchant qui instaurait une lumière orangée sur tout le territoire. Le cor reprit sa musique, et au plus grand malheur des coéquipiers, un second retentit. Plus strident encore.
–Ils sont placés en haut des montagnes. Décidément, ils ont une bonne garde sur cette île.
A ces mots un troisième se fit entendre, plus loin devant eux, tous reprirent la sonnerie d’alarme, faisant s’envoler les oiseaux, détaler les animaux, et accélérer étalon et cavalier.
Quelques minutes après, le soleil avait disparu, les cors redoublaient d’intensité, le Meshamhaan commençait à perdre patience.
A la nuit tombée l’étalon franchit un buisson d’un bond, et atterrit en plein centre d’un village.
–Merde, siffla Dainsleifin entre ses dents, on a la poisse aujourd’hui.
Elle ne semblait pas avoir tord, car quelques secondes plus tard, les cors s’approchaient à toute allure, et les villageois sortaient de leurs demeures, torches et pieux de bois en main.
Femmes et enfants observaient la scène de leurs fenêtres sans vitres, une lueur victorieuse dans le regard. Le cercle autour d’eux se refermait et rétrécissait progressivement. Aby dégaina Dainsleifin et la tendit vers le ciel avant de crier d’une vois forte :