Rêves d'Absynthe

Les jours  passaient et  la  routine  s’installait.

La nuit, l’étalon et  la  jeune  femme  dormaient tous  deux allongés  à même  le  sol, Dainsleifin entre les  pattes  de  l’animal, qui tentait  de lui donner  un peu plus  chaud. La  température baissait  au fil des  jours.

Les  premières  nuits, aucun des  deux n’était  vraiment  à l’aise.

L’une  par  pudeur simple, de  se  serrer  contre  un être  tout  aussi pensant  qu’elle alors qu’elle  ne  le  connaissait pas ; l’autre parce  qu’il n’avait  pas  l’habitude  d’avoir  un  être chétif et  faible  à protéger.

Faible  uniquement par rapport à ceux qu’il côtoyait avant, car  il devait  l’avouer, cette  jeune  femme  avait  du cran de  supporter  tout  ce  qu’il la  forçait  à faire.

Au matin tous  deux  cherchaient  un point  d’eau.

Aby s’habituait  peu à peu aux bains dans  des  rivières  glacées, qui en général étaient  boueuses à cause  des  effondrements  récents.

Al Hataal lui, évitait  de  s’en approcher  de  trop, et  sautait  par  dessus les cours d’eau.

Ensuite  elle  devait  courir.

Approximativement de sept heures jusque dix  heures du matin.

Chaque jour elle souffrait de  ses courbatures de la veille. Ses  boots l’empêchaient de courir correctement, elle  était  à présent  pieds  nus.

A partir  de  dix heures  et  demie la  course  reprenait, à cheval cette  fois. L’étalon galopait  sans  s’arrêter durant  des  heures, seules  les  invectives de  la  demoiselle le faisaient ralentir, et  ce  n’était  en général que  pour  attraper  des  fruits à la  limite  de  l’age.

Les  jours  passaient et  Dainsleifin était  de  plus  en plus  de  mauvaise humeur.

Dainsleifin, qu’y a-t-il ?

–Rien.

–Dainsleifin, quel est le  problème ?

–Y a  pas  de  problème,  ronchonnait-elle.

Chaque  jour ils  croisaient  des villages  en ruines, des  cadavres d’êtres brûlés.

Des  femmes, des  enfants, des vieillards dont  la  croûte  cramée gardait leur forme assise sur un banc de  bois  tout  aussi brûlé  qu’eux.

A chaque être mort qu’ils  croisaient, la  jeune  femme  devenait  de  plus  en plus  silencieuse.

Elle avait  abandonné  sa  famille  dans cette  horreur. Les  remords grandissaient  au fond d’elle, tout  comme  cette  haine  sourde.

Elle  ne  la  sentait  que  très  peu, mais  l’entraînement que  lui donnait  l’étalon forgeait  son caractère.

Elle  oubliait  la  douleur des hématomes que  lui avait  causé  son combat, elle  oubliait  ses  courbatures, et  pour  ça, elle  se concentrait sur  une  chose. Une  seule.

L’envie de tuer.

Elle avait  goûté  à la mort, elle  en voulait  encore.

Encore  plus.

Elle  savait  que  sa  cousine et tous  les autres  morts ne  lui reviendraient pas.

Elle  savait également qu’aucun ne sauraient qu’ils avaient été vengés. Elle savait encore  que  ça  ne  soulagerait rien en elle.

Mais  ôter la vie  d’un être  haït est comme  une  drogue. C’était  presque  un plaisir. Un bonheur. Elle  en avait  envie. Et  elle  attendait…

Cela  faisait  à présent  deux  semaines  qu’ils  traversaient  la  France du Nord  au Sud. Deux  semaines, et  ils  avaient enfin atteint l’Ardèche.

Avec  un cheval normal il aurait  fallut environ trois  semaines, de  nombreux  points  d’eau, des pâtures, et  un rendez  vous  avec le maréchal.

Or l’étalon ne  buvait  que  très peu, et  uniquement  de  l’eau issue  de  flaques  ayant  chauffé au soleil. Il n’avait besoin d’aucun traitement par rapport  à ses  pieds, et  ne  mangeait que  certaines  herbes extrêmement nutritives.

Le  soleil commençait à peine  à se  lever, Dainsleifin s’était glissée  entre  les  antérieurs de l’étalon durant  la  nuit, et  se servait de sa  jambe  comme  d’une  couverture.

Elle  dormait  encore  à poings fermés.

Al Hataal la  contemplait, c’était les  seuls  instants  ou elle  semblait  reprendre son age  véritable, et  son innocence de jeune  femme.

Ses  traits  semblaient s’être  affinés au fil des  jours, ses  cheveux  n’arrêtaient pas  de  pousser. Ils  lui arrivaient  à présent  à la  taille  et  sa  coloration framboise ne  débutait à présent qu’à  ses épaules.

Elle  ouvrit  les  yeux encore embrumés et  contempla Al Hataal qui détourna  rapidement son regard.

Enfin tu te  réveilles. Marmotte. J’ai connu des  cavaliers  moins  flemmards, murmura-il d’un ton faussement  sec.

Elle  ne répondit pas, se  retourna paresseusement puis s’extirpa des pattes  musclées du Meshamhaan.

Avançant vers son sac à quatre pattes elle  marcha  sur  ses cheveux et  s’étala de tout  son long, le  nez  dans  l’herbe.

J’en ai maaaaaaaaaaarre, geignit-elle tout en se  retournant  sur  le  dos et  prenant son visage  dans  ses  mains. Maaaaarre Maaaarre Maaaaarre!

Gardant  les  yeux fermés  elle tâtonna à la recherche  de  Dainsleif qu’elle saisit par la « fusée » et  attira  vers  elle.

Al Hataal la  contemplait, mi-amusé, mi-décontenancé.

Elle  se  redressa lentement, les  sourcils  froncés, attrapa de sa main gauche  ses cheveux  emmêlés et les  ramena devant elle.

Puis  s’empara  de l’épée blanche et  trancha  d’un coup sec dans  ses  cheveux. Laissant  tomber  sur  ses  genoux une grande  quantité de cheveux violets roses. Elle  se  redressa et  tourna  son visage  vers  l’étalon.

Elle  arborait  à présent un carré  plongeant mis  long, les  mèches  les  plus  longues  tombaient sur  sa  poitrine, cette  coupe faite  à la  va vite  lui allait  très  bien, soulignant les  traits  fins de  son visage.

Prochaine fois  que  ça  te  prend, pense  à les  natter puis  à les  attacher. Dainsleifin ne répondit  que par  un grognement sourd qui aurait  pu ressembler au langage d’Outre Terre.

Oui enfin de  tout  manière  vu la  vitesse  à laquelle  ils  poussent depuis que  tu as  Dainsleif, je  pense  que  tu pourras  t’amuser  à nouveau d’ici une  semaine.

Pour  toute réponse elle  attrapa l’harnachement de  l’étalon et  le  fixa  jusqu'à  ce  qu’il se  lève, avant  d’installer la  selle sur  son dos, y accrocher ses  affaires et  ses  boots ainsi que  la  bride qui leur  était tout  à fait  inutile.

Elle  partit  en courant  en avant, n’écoutant  que  les  directives de  l’étalon pour  ce  qui est du chemin à prendre. Ils  parvinrent à sortir  de l’épaisse forêt dans  laquelle  ils  avaient  dormi, et s’engagèrent dans  une  immense  plaine.

Elle  avait  du être  une  ville quelques  semaines  auparavant. L’étalon trottait léger, gracieux, magnifique au côtés de  la  jeune femme. Elle  semblait  moins épuisée, plus  décidée à courir.

Elle  appréciait  ces  moments, elle  ne  pensait  plus  à rien d’autre  qu’a sa vengeance future et  à son souffle. Elle  foulait  l’herbe  de  ses  pieds  nus, Dainsleif pesait toujours autant  à sa  taille.

Elle  sentait  que  l’épée  ne  l’avait  pas encore  totalement  acceptée. Après  tout  elle  n’était pas  à elle  mais  à un être des  Sous Sols disparu. Peut-être mort mais  ça  Al Hataal n’en savait  rien.

 

Quelques  minutes  après  avoir  commencé de  traverser la  plaine  Al Hataal se  raidit :

Nous  avons  de  la  visite à notre  droite Dainsleifin.

Aby tourna les yeux dans  la  direction donnée et  s’immobilisa  le  souffle  court.

Des survivants…

Mer 14 mai 2008 Aucun commentaire