Rêves d'Absynthe
Elle s’écroula lourdement sur l’encolure de l’étalon, le souffle rauque.
–Ca va ?
–Oui… merci, j’ai l’impression d’avoir vu passer ma vie devant mes yeux…
Elle n’avait pas tord, sauf que ce n’était pas uniquement sa vie qui venait de passer. Mais celle de milliards de personnes.
Partout dans le monde les villes avaient été détruites, la population décimée.
Elle haletait, toujours étendue sur l’étalon.
Elle se laissa glisser lentement à terre et s’écroula dans l’herbe.
La terre était encore tiède. Tout s’était déroulé si vite, en quelques secondes ses yeux avaient vu ce qu’ils n’auraient jamais pu imaginer.
En quelques millièmes de secondes des milliards de gens étaient morts. Elle en avait vu certains. Presque tous étaient morts tandis qu’elle était vivante.
Elle se mit à quatre pattes puis se redressa complètement.
Marchant comme un somnambule vers la colline qui donnait vers l’autoroute ou ce qu’il en restait.
Ses pas étaient imprécis, elle semblait être dénuée de forces motrices.
Elle marchait car elle devait marcher mais c’était plus la répartition de son poids plutôt que ses muscles qui la faisait avancer.
La jeune femme arrivait en haut de la bute et s’affalait sur le sol. Tout ce qui avait été métallique était fondu, il ne restait plus que de petites plaques de métal encore brûlant dans la terre.
L’autoroute était devenu un immense chemin de terre et de plaques qui semblaient s’enfoncer dans le sol au fil des secondes.
Au loin, la ville de Strasbourg n’était plus qu’une zone fumante.
Y avait-il des survivants ?
Les chevaliers étaient-ils déjà sortis pour décimer le reste de la population ?
La cendre et la poussière tombait lentement, comme une neige noire, une neige sale, une neige sombre et douloureuse.
Seuls quelques rayons de soleil éclairaient la demoiselle en dentelles, pierre rouge, usée par les années, mais toujours présente.
La cathédrale avait résisté au séisme.
Aby sourit. Cette cathédrale était dressée vers le ciel, comme un espoir dans l’ombre.
Sa base était sous les débris et les cendres mais elle n’en demeurait pas moins magnifique. Magique.
Elle redescendit les yeux brillants.
S’il y avait un espoir pour renvoyer ces êtres sombres et brûlants dans leur monde terreux elle le saisirait.
Elle fera tout pour son monde, parce que malgré ses défauts, malgré ses horreurs, elle l’aimait.
Oui elle l’aimait.
Tout autant que tous les jeunes rebelles qui dessinaient le sigle de l’anarchie sur leurs sacs de cours. Ils étaient rêveurs, souhaitaient un monde meilleur.
Et après tout, cette décimation de toutes les villes et de toutes les choses inutiles ne permettrait-elle pas de repartir sur de bonnes bases ?
Pour un monde meilleur ?Dainsleifin avait enroulé son épée dans un de ses nombreux foulards de peur de se blesser puisqu’elle n’avait plus de fourreau.
Elle la portait à la taille depuis qu’elle avait compris que c’était son seul moyen de communication avec le Meshamhaan, mais cette dernière n’était absolument pas légère et elle se doutait bien qu’elle n’était pas destinée à une femme, encore moins d’aussi petite envergure.
Elle s’approchait d’Al Hataal et portait son pied à l’étrier, lorsque ce dernier fit quelques pas en avant.
Elle leva vers lui des yeux étonnés. Depuis ce matin elle n’avait vécu que des horreurs, ce n’était absolument pas le moment d’en venir aux blagues.
–Al Hataal, qu’y a-t-il ?
L’étalon la fixait de ses yeux brillants d'intelligence, papillonna des paupières et répondit qu’il fallait qu’elle s’entraîne le plus tôt possible.
L’endurance était indispensable au guerrier. Aby hocha la tête avec un rire on ne peu plus jaune.
–Hinhinhinhinhin, qu’il est drôle le canasson, hinhinhinhin, dis moi que tu plaisantes avant que je fasse de toi un steak.
L’étalon la regardait avec des yeux ronds.
Un steak ? Quéssidi ?
Pour toute réponse il commença à repartir au petit trot, le sac de la demoiselle ballottant au gré de ses foulées.
Malgré la décomposition plutôt comique du visage de la jeune femme, Al Hataal demeurait majesteux, mais semblait bien plus jeune, son trot en était presque joyeux. Un vrai poulain.
–Al Hataal, tu n’as pas droit de partir sans moi ! Reviens !
–Non, toi avance ! Allez cours !
–Mais Al Hataal, je suis fatiguéééée !
–Dans ce cas tu dormiras divinement bien cette nuit ! Allez du nerf, lui lança-il en faisant un rond au trot, déjà loin dans la plaine.
La jeune femme se redressa et inspira calmement.
Tous ces changements en quelques heures l’avaient épuisée, mais il avait raison, il fallait qu’elle se prépare.
Les guerriers des Sous-sols ne prenaient sûrement aucun repos. Elle glissa fébrilement une main dans ses cheveux qu’elle trouvait encore plus longs que quelques minutes plus tôt.
Elle amena une mèche devant son visage. Oui ils avaient bien poussé ! Encore un mystère à résoudre.
Elle ferma les yeux un instant, laissant le vent caresser son visage et la cendre qui tombait toujours souiller ses vêtements, puis les rouvrit, et commença à courir.
Au bout d’une trentaine de mètres elle était déjà essoufflée.
Tu parles d’une combattante. Pourquoi c’est tombé sur moi ? Ralala.
Elle reprit son souffle quelques instants et repartit en courant, tentant de rejoindre l’étalon qui l’avait bien distancée.
Elle pouvait apercevoir ses crins voleter à sa suite, gracieux, félin.
Il trottait toujours à égale vitesse et semblait se promener allègrement.
Elle, semblait plus courir un marathon.
Elle était trempée de sueur. Mais il fallait courir.
Courir encore et encore jusqu'à ce que ses jambes ne la portent plus et qu’il daigne enfin jouer la monture docile.
Le soleil commençait à redescendre dans le ciel, il était deux heures passées. L’herbe se faisait plus haute, et même si elle suivait le chemin tracé par le Meshamhaan elle peinait de plus en plus à avancer.
–Al Hataal ?
–Oui Dainsleifin ?
– Ou es tu, je ne te vois plus dans ces hautes herbes.
–Devant toi ma grande, loin devant toi.
–Al Hataal ?
–Oui Dainsleifin ? répondit une voix moqueuse.
–On arrive quand ?
L’étalon s’esclaffa et s’immobilisa quelques minutes.
Au bout d’un quart d’heure la jeune femme arrivait, essoufflée, fatiguée, presque aussi lente que si elle marchait à reculons.
-Bon je crois que ça suffira pour aujourd’hui. En selle, et repose toi, on ne s’arrêtera pas avant la nuit tombée.