Rêves d'Absynthe
Quelques minutes passèrent et Al Hataal galopait toujours en direction de la sortie de la ville.
Dainsleifin était plongée dans ses pensées, ses grands yeux verts scrutaient le paysage sans le voir.
Elle se tenait là, immobile, parfaitement droite dans sa selle, impassible quant à l’allure vertigineuse de l’étalon. S
es cheveux voletaient et fouettaient son visage déjà rosi par le vent.
Elle sortit son portable : Midi moins cinq.
-Al Hataal, ou allons nous ? murmura-elle d’une voix faible.
-La destination finale est ce que vous appelez l’Afrique. Mais pour l’instant je veux simplement nous éloigner des villes, elles sont bien trop dangereuses.
Elle ne semblait pas se rendre compte de ce que le Meshamhaan avançait.
Il désirait traverser toute la France, la méditerranée et une partie du Maghreb. Après tout, avec ce qu’elle avait apprit durant la matinée, rien ne pourrait plus l’étonner.
Toujours impassible elle reprit :
-Al Hataal, il n’y a pas d’eau par ici…
-Ne t’inquiète pas pour ça, lui répondit-il d’une voix calme et posée, repose toi, le chemin sera long et les pauses seront rares.
Dainsleifin se laissa glisser plus profondément dans sa selle, joua du bout des doigts le long de son téléphone.
Un éclair jaune lui parut.
Le Meshamhaan avait jeté un coup d’œil en arrière.
-Tu ferais mieux de le jeter.
-Pourquoi ?
-Il ne te servira plus à rien. Jette le.
Elle s’exécuta avec un soupir. Tendit le bras dans le vide, observait ses doigts se défaire lentement de leur emprise, puis l’objet tomber rapidement sur le sol, rebondir plusieurs fois avant de s’immobiliser.
Elle s’aperçu alors de la vitesse affolante à laquelle ils allaient. Son portable était déjà à une centaine de mètres derrière elle alors qu’elle venait simplement de le lâcher.
-Plus que quelques minutes Al Hataal.
-Ne t’en fais pas, ils ne sont pas à quelques minutes près, et puis ils n’ont pas d’horaires aussi précises que les vôtres.
Dainsleifin cligna des yeux, cherchant à chasser les larmes que le vent glacé causait. Elle se pencha en avant et glissa la paume de sa main le long de l’encolure du Meshamhaan.
A sa surprise elle était parfaitement sèche, sale, terreuse, pleine de croûtes de terres et d’anciennes blessures mais il ne semblait pas suer le moins du monde. Elle sourit faiblement.
Aucun de ses anciens chevaux aurait pu galoper aussi longtemps sans être trempé de sueur et d’écume.
Peut-être mais je ne suis pas un cheval.
Devant eux une barrière du bord de l’autoroute leur barrait le chemin. Dainsleifin se redressa en équilibre sur ses jambes et attrapa Dainsleif de peur qu’elle ne tombe.
D’un bon plus que gracieux l’étalon se retrouva sur la terre battue qu’était auparavant la quatre voies.
Un second saut le fit franchir le terre plein central.
Des voitures abandonnées traînaient de ça de là sur la route. La plus part à moitié enterrées sous la terre.
Dainsleifin tourna la tête. Elle entendait quelque chose.
-Attend, arrête toi s’il te plait.
Elle venait d’apercevoir ce qui l’intriguait tant. Une famille entière était encore dans leur voiture. Aucun d’eux ne bougeait, tous avaient un visage totalement figé. Apparemment ils espéraient passer inaperçu. C’était raté.
-Sortez de là leur cria-elle, faisant tourner l’étalon dans leur direction.
Elle n’eut pour seule réponse que le claquement sec du verrouillage des portes.
-Sortez de là c’est dangereux, répéta-elle.
Aucun ne bougea, le père de famille avait le visage plus blanc qu’un linge (lavé avec omo, plus blanc que blanc).
Elle descendit de Al Hataal et s’approcha lentement de la vitre, toqua doucement.
-Sortez vite d’ici et allez vous réfugier dans l’eau ! Allez sortez !
Al Hataal murmura qu’ils n’avaient plus de temps, elle tourna le visage vers lui :
-Mais on ne peut pas les laisser ici !
Il s’avança et le père se mit à crier.
-Va t’en démon ! Crève dans les flammes de là ou tu viens ! Démon ! Démon !
*Aby on a vraiment plus le temps, il faut partir.*
-Sortez de cette voiture, vous allez mourir ! Croyez moi !
-Sorcière sorcière ! Criait à présent le père, totalement hystérique.
Les deux enfants assis sur le siège arrière se mirent à pleurer. Par peur des nouveaux arrivants ou bien par peur de l’étalon ?
Al Hataal poussa Dainsleifin de façon à ce qu’elle lui fasse face.
*En selle !*
Elle obéit, et le Meshamhaan prit son élan pour sauter la dernière barrière.
Derrière elle se trouvait un fossé.
A peine eut-il levé ses pattes du sol qu’une détonation immense se fit entendre. Leur envol se fit lent.
Si lent que la jeune
femme pu se retourner et voir ce qu’elle n’aurait jamais pu imaginer.
L’étalon venait de prendre son envol, il était tendu dans les airs, pattes tendues en avant, encolure allongée au maximum.
Tous ses muscles étaient bandés, saillants sous sa couche de poils ras.
Ses crins semblaient flotter comme au ralentit, comme des étendards d’une armée fantôme arrivant de loin dans la plaine.
Au dessus du Meshamhaan, la jeune femme semblait être aussi légère qu’une plume, ses yeux grands ouverts semblaient voilés par l’étrange lueur qu’avait pris le ciel au moment de l’explosion.
Un orange surnaturel avait plongé le monde dans un crépuscule précoce.
L’air bouillonnait, brûlait, violent, insupportable.
Dainsleifin écarquillait les yeux de stupeur, on pouvait voir la scène reflétant dans sa rétine brillante, inondée de larmes figées.
Au loin, la ville s’écroulait sur elle comme un château de cartes.
Une brume épaisse s’élevait, cachant à moitié les décombres, ainsi que les immeubles se brisant encore.
Au centre, comme une reine de tout ce chaos, la cathédrale demeurait immobile. Sa flèche transperçait le ciel devenu rouge.
Les nuages bas tentaient de cacher sa magnificence sans réussir.
Le bruit, les cris tout était si perçant qu’il en devenait assourdissant, tous ce brouhaha se transformait en une sorte de nuage de sons, tous identiques qui entouraient votre visage, alourdissait tous vos sens.
Un toit qui s’écroule, une façade qui tombe, des os qui craquent, un enfant qui pleure, un père qui se jette de son immeuble pour échapper à l’effondrement…
Elle semblait pouvoir ressentir chaque douleur, chaque frayeur de cette ville en pleine destruction à ce moment là. Toutes ces morts lui broyaient le cœur, comme si chaque esprit lui traversait le corps pour ne pas l’avoir prévenu. Le sol devint incandescent.
Cette catastrophe n’était pas finie. L’antenne téléphonique qui vacillait au gré des tremblements au loin, devint une bougie de cire, et s’écoula jusque sur le sol, se dissout, disparut.
Aby reporta son regard vers l’autoroute bien que la ville n’ai pas cessé de grincer, de se tasser jusqu'à former un tapis informe d’éboulis.
La voiture occupée par la petite famille fondit en un instant.
Les pneus claquèrent, secouant les occupants qui se mirent à hurler, un millième de seconde plus tard elle fondait.
Le métal et le plastique brûlants coulèrent encore trop lentement sur les occupants de la voiture. Ils n’avaient pas le temps de réagir mais elle captait dans leurs yeux la douleur que leur causait ses brûlures.
Ce métal inflammant leurs chairs, détruisant leurs os, les réduisant à l’état de poussière.
Commençant par leur crâne, dégoulinant sur leurs yeux brûlés tandis que leurs pieds s’enflammaient au contact du châssis de l’auto...
Un souffle plus chaud que les autres fit cligner les yeux de la jeune femme.
Lorsqu’elle les rouvrit, elle était au bas du fossé de l’autoroute, le ciel se couvrait de cendres et le silence était total.