Rêves d'Absynthe
Les coups de feux durèrent pendant d’interminables minutes.
Aby fermait les yeux à chaque bruit, glissant de plus en plus bas sur le Meshamhaan au galop et enfouissant son visage dans sa crinière emmêlée.
Elle ne lâchait pas l’épée, parcourant d’un doigt la « fusée » incrustée de pierres taillées au fur et à mesure que sa monture traçait les rues de la ville.
« A droite, maintenant à gauche. Voila arrête toi ici. »
Ils étaient parvenus sur une petite place d’un quartier calme.
Une statue de cuivre trônait penchée au centre de la place à présent pleine de terre.
Les arbres l’entourant avaient également penché légèrement avec le retournement du sol mais semblaient enfin libérés, plus beaux et sauvages que jamais.
Aby glissa à terre dès que sa monture fut stoppée.
–Très bien. Nous avons échappé à tes congénères et vu l’artillerie lourde que l’armée a envoyé… Ils ne sont plus en vie à présent. Murmura-elle, la voix se brisant en fin de phrase.
–Je sais, répondit sèchement l’immense bête sombre qui la contemplait assise sur un petit tas de terre.
Tout autour d’eux les gens couraient de droite à gauche. Certains regardaient le sol sans comprendre.
Aby était recroquevillée sur elle même, les mains dans les cheveux.
Elle jeta loin d’elle l’épée blanche maculée de sang.
Une larme perla au coin de ses yeux, puis une autre.
Aby laissait s’écouler toute sa peine pour sa cousine, il fallait le faire maintenant car elle pressentait que cette histoire était loin d’être finie.
Elle devrait être forte pour elle et pour les autres.
D’un geste nerveux elle écarta ses cheveux en pagaille qui semblaient avoir pris vingt centimètres en une petite heure.
Ses yeux glissèrent sur les pattes de lion de l’animal en face d’elle.
Oui c’était le mot, pattes de lion, corps de cheval.
La grâce équine mélangée à celle féline.
Une merveille de la nature.
Elle remonta jusqu’au poitrail large et puissant de la bête, son encolure striée de veines apparentes sous le poil et parvint à sa tête.
Le filet de cuir noir était toujours en place, la place de métal protégeant son chanfrein également.
Ses naseaux étaient toujours aussi ensanglantés, la commissure de ses lèvres semblait déchirée.
Aby se releva et s’approcha de lui.
« Ne bouge pas on va virer ça, tu saignes. »
L’étalon ne répondait pas.
« Tu as perdu ta langue ? » murmurait-elle avec un sourire triste aux lèvres tandis quelle défaisait les boucles de la sous gorge et de la muserolle.
« Tant pis alors. Ouvre la bouche je ne vais pas te faire mal. Arrête de serrer les dents comme ça ! Hey chochotte ouvre la bouche je vais me fâcher ! »
Le Meshamhaan la regardait avec de grands yeux mais ignorait ses ordres.
« Allooo je te parle !! »
Aby mimait à présent le geste qu’il devait faire
« Ou’rir la ‘ouche hu ‘omprend là? »
Une lueur d’amusement passa à travers ses grands yeux jaunes et il obéit enfin.
Aby posa le filet par terre.
« Ha ben enfin ! Qu’est ce qui te prends de jouer à la carpe ? »
L’étalon s’éloigna d’elle et partit en direction de l’épée qui n’avait toujours pas cessé de briller.
*Génial un cheval qui parle une fois sur trois et une épée qui joue au ver luisant. Génial vraiment gé-nial.*
Il contourna l’épée et se mit face à Aby, poussant vers elle l’épée du bout de la patte (ça me fait vraiment mal au c** de dire patte alors qu’a la base c’est (presque) un cheval).
Aby vint à son aide en le voyant s’escrimer à pousser la lame dans sa direction, lame qui s’obstinait à s’enfoncer dans la terre à chaque coup de patte au plus grand énervement de la bête.
A peine l’eut elle touchée que le Meshamhaan reprit la parole...La lueur d’amusement qu’avait perçu Aby dans son regard avait d’ores et déjà disparu.
Il était à nouveau là, plus grand, plus beau, plus effrayant que jamais.
Tout son corps reflétait une majesté sans pareille, de ses oreilles parfaitement proportionnées jusqu'à sa croupe merveilleusement musclée.
Ses yeux jaunes la fixaient sans gène :
« Commençons par le commencement. Je ne suis pas ton ami. Tu as tué mon cavalier, tu as récupéré Dainsleif, à présent je me dois de t’accompagner où tu iras et de t’obéir quoi qu’il arrive. Je suis lié à l’épée comme elle est liée à moi. Nous ne formons qu’un même esprit pour deux corps différents, ce n’est que par elle que nous pouvons communiquer pour l’instant. Si un jour tu pouvais m’entendre sans l’épée, là tu pourras te dire que nous sommes amis, camarades. Le Meshamhaan vit la jeune femme ouvrir la bouche. Ne me pose pas de questions. Pas maintenant nous n’avons pas le temps. Tu n’es qu’une humaine, sembla-il marmonner dans son esprit. Une simple et faible humaine… Je devrais te laisser mourir. Mais si tu meures sans qu’une fusion ai été faite entre l’épée et quelqu’un d’autre je mourrai également… Il plongea ses yeux dans les deux prunelles vertes d’Aby qui semblaient se tremper de larmes à l’entente de ce discours si sec... Il reprit. Et mourir, ça je ne peux pas me le permettre. »
Les deux « coéquipiers » se regardaient dans le blanc (ou jaune) des yeux, une lueur de colère passa dans ceux d’Aby.
« Va t’en, rentre chez toi ! » Marmonna-elle les dents serrées.
« Non, je ne peux pas, même si je le veux. »
La réponse avait été simple et claire.
Une minute passa.
Aby ouvrait la bouche puis se ravisait, autant ne pas lui montrer qu’elle était blessée.
Le Meshamhaan demeurait immobile comme une statue, attendant sa réaction, bonne ou mauvaise il s’en fichait.
Aby s’approcha de lui et commença à chercher une quelconque étrivière sur la selle, ne trouvant qu’un simple lambeau de cuir épais et fixé à la selle, elle fit un nœud dedans afin de raccourcir ses étrier.
S’occupant comme elle pouvait pour ne pas avoir à reparler à cet animal qui lui avait fait encore plus de peine qu’elle n’en avait déjà.
Elle ferma les yeux et inspira lentement, appuyée contre la selle.
« Ok, tu dois me suivre et m’obéir c’est ça ? »
« Oui »
« Très bien, dis moi si ce qui s’est passé ce matin va se reproduire. »
« Oui »
« Développe, ne me force pas à faire un véritable interrogatoire. »
Le Meshamhaan soupira et tourna sa fine tête dans sa direction.
« Le tremblement de terre de ce matin n’était qu’un minuscule échantillon de ce qu’il va se passer. De la magie ? Non de la chimie. Répondit-il comme s’il avait lu dans ses pensées. Dans quel but ? Le premier séisme était là simplement pour briser toutes vos voies de communication. Plus d’oiseaux de fer puisque vous n’avez plus de pistes d’envol, plus de « voitures », ni de trains. Vous ne pouvez plus bouger. Pris au piège comme un moucheron dans une toile d’araignée. La seconde étape… »
Aby retenait son souffle et le Meshamhaan reprit :