Rêves d'Absynthe

La  foule s’interrogeait  du regard, tous avaient leur  téléphone  mobile  à la  main, cherchant  à joindre  parents  et  proches.

Adeline  fit  volte  face après  avoir encouragé bon nombre  de  jeunes  à s’en aller.

Elle  descendit  de  son petit  tas  de  terre  fraîchement  retournée et  revint  une  fois  encore  vers  sa  cousine, toujours  immobile.

- Je  suppose  qu’il faut  que  nous  partions  toutes  les  deux également  n’est-ce  pas ? demanda-elle.

La  concernée leva  une  fois de  plus  les  yeux  vers  elle.

Ils  étaient  embués  de  larmes, un triste  sourire  se  dessina  sur  ses  lèvres  couvertes  de  poussière, et  elle  tendit  sa  main vers  la  joue de  la  jeune  blonde, la  caressant  tendrement.

-Il est trop tard  à présent… murmura-elle.

-Pardon ? Comment  ça ? Tu débloques  complètement  ma  pauvre  fille ! Allez  lève toi avant  que  je  me  fâche !

Aby ne  bougeait  pas  d’un centimètre et  avait  déjà reporté  toute son attention sur  le  bout  de  la  rue, plongé  dans  le brouillard  terreux.

Le grondement  qui l’obsédait  depuis  quelques  instants s’était  amplifié, encore  et  encore. Désormais elle  percevait un son ressemblant  au bruit  d’un peloton de  chevaux  au galop, mais  atténué.

Comme  assourdit par  une  herbe  extrêmement  grasse.

Non. Ce  n’était  pas  assez, on aurait  dit  que  ces sabots  frappant  le  sol étaient recouverts  de  tissu mou, entièrement  amortis.

Des  « pattes  velues »  à des chevaux.

Voilà, elle  y était  arrivée.

Le  sourire qui se  dessinait  sur  ses  lèvres depuis quelques  instants s’élargit  encore et  deux  mots  jaillirent  de sa  bouche comme  hachés :

« Com-plète-ment  timbrée  Ha Ha. »

Elle  riait  à présent, rire  rauque et triste qui s'élevait dans la  foule.

Il ne restait  qu’une  vingtaine  d’élèves  devant  le  bâtiment.

Tous la  regardaient  avec  surprise  puis  pitié. Sa  cousine  l’abandonna pour  aller  se  plaindre  à une  de  ses  amies de  son état  de  légume.

Aby continuait à fixer  le  bout  de  la  rue, et  vit  du coin de  l’œil des  oiseaux  s’enfuir au plus  vite dans  la  direction opposée. Un caillou sur  sa  droite  recommença  à trembler, mais  très  légèrement.

Personne  ne  sentait  ces  vibrations.

Son souffle  s’accéléra au fil des  secondes, ses  yeux  s’agrandirent et  enfin elle  les  vit.

 

Eclairés  par  les  faibles  rayons  glacés  du soleil à travers la  poussière brune, d’énormes pattes  percèrent  le  brouillard et  s’offrirent à sa  vue, suivies par de  puissants  poitrails, et  de  majestueuses  têtes  équines.

Chacune plus sombres que  les  autres et  ornées  de  métal argenté couvrant leur  chanfrein, leur  poitrail et  leur  encolure.

D’énormes  cavaliers les  chevauchaient, tous  aussi sombres  que  leurs  montures, heaumes et armures de  cuir et  de  métal.

Elle  les  détaillait, merveilles  de  la  nature, magnifiques et  terrifiants, fiers et puissants.

Des  six  cavaliers, quatre avaient  déjà  sortit leurs épées,  les  deux  autres  faisaient  tourner  des  fléaux au dessus  de  leurs  têtes. Ils  avançaient  au galop dans  leur  direction.

Un premier adolescent croisa malencontreusement leur  chemin…

Sans  rompre ni le rang ni l’allure, l’un des  porteurs de fléau, tendit  un  bras gainé de cuir dans  sa  direction.

Ses muscles  se  contractèrent laissant deviner son incroyable  musculature. Son arme  fendit  l’air en sifflant.

Le jeune garçon eut  à peine le temps de  lever  ses  yeux  gris vers  le  ciel, cherchant du regard  ce  qui allait  causer  sa  mort, qu’un éclair  argenté le  frappa au visage.

Il put  entendre ses  os et  son cartilage  craquer sous  le  poids, la  masse  et  les  pics. Vint ensuite le  sang.

Pas  encore  de  douleur. Sa  vision se  troubla et en moins  d’une  seconde, le  ciel était  rouge.  Ou bien était-ce le sang  qui lui obstruait  la  vue.

Pas  même  le  temps de  crier. Le  fléau se  décolla de  ce  qui restait  de  son visage, laissant un corps  sans  vie vaciller sur  lui-même  avant  de s’écrouler contre  l’aile gauche  de  la  cathédrale.

Tachant une  fois encore  ses  vieilles  pierres usées  par  le  temps.

 

Devant  le  lycée, tous avaient  vu cette  première  mort. Quelques  uns se  mirent  à hurler, d’autres  partirent  en courant.

Une  grande  partie  demeuraient  immobiles, totalement hypnotisés  par cette  violence, cette  rapidité, et  surtout  par  le  fait  qu’a  présent les  cavaliers  se  dirigeaient  vers  eux.

 

« Aby putain bouge, faut  qu’on se  tire  d’ici ! » hurla  Adeline  en tirant  par  le  bras  sa  cousine, qui ne  fit  que  s’étaler  plus  sur  le  sol terreux.

« Aby bor*** de  m**** tu vas  bouger  ton put*** de  gros  c** je  veux  pas  crever  ici put*** !!!! ».

Les  larmes  montaient  aux  yeux  de  la  jeune  blonde, laisser  sa  cousine ici? Jamais !

 

Les  cavaliers  étaient  arrivés  à la  hauteur  de  deux  autres  adolescents. Un couple  vraisemblablement.

Les  deux  se  tenaient la main.

Le  gamin  passa  devant  sa  petite  amie, lui hurlant  de  fuir. Mais la brunette était  tétanisée. Il se  tourna  vers  elle pour  la  pousser  loin des  cavaliers mais  une épée reluisante  le  transperça  de  part  en part, le  projetant  en avant  sur  son aimée qui se  trouva  piégée  par  son propre  amour.

Incapable  de  soulever le cadavre  (tout  neuf  ), bloquée  jusqu’au bassin, elle  ne  put  qu’observer l’épée  tachée  de  sang  pointer  vers  elle. L’éblouir en reflétant  l’un des rares rayons  de  soleil et  lui ôter  la  vie d’un coup sec  dans  la  poitrine.

Aby observait toute l’action  comme  au ralentit, le  son était  totalement assourdi.

Elle  voyait en coin le visage de  sa  cousine gâche  par  les  larmes, la  colère  et  le désespoir. Mais elle  ne  réagissait  pas  à ses  appels.

Ces  cavaliers  étaient  cent  fois plus  forts  qu’eux, ils  semblaient  avoir  été  élevés pour  combattre, élevés  pour  tuer.

Que  pouvaient  bien faire  de  simples  lycéens armés  d’une  étudiante  stupidement  assise par  terre contre  une  volonté  de  tuer sans  faille ?

Elle  ne savait  pas  qui ils  étaient.

Elle ne  savait  pas  d’où ils  venaient.

Elle  savait  encore  moins  ce  qui avait  provoqué  leur  colère.

Ce  qu’elle  savait  c’est  qu’ils  voulaient  leur mort.

Pourquoi espérer  leur  échapper puisqu’ils  semblaient prêts  à tout  pour  leur  faire  du mal ?

D’énormes  pattes  brunes passèrent à ses  cotés, piétinant la terre fraiche. Se  déplaçant  avec  une  aisance  et  une  grâce qui la  surprirent.

Un cri déchirant la  tira  de  ses pensées, elle  tourna  la  tête vers  la  source du cri. Un flot  de  liquide  chaud lui gicla  dans  le  visage.

Elle  ne  voyait  plus  rien. Ses  mains  glissaient désespérément sur  son visage, cherchant  à retirer le  sang  qu’elle  venait  de  recevoir.

Ne  réussissant  qu’a  coller en plus des  mèches  de  cheveux contre  sa  peau.

Ce  n’était  pas  son sang.

Un corps  lourd et  sans vie tomba  sur  ses  genoux. Elle  hurla  et  recula  précipitamment  repliant  ses  jambes sous  elle.

Elle  utilisa  les  manches  de  son manteau pour sécher  ses  yeux et  y voir  à nouveau.

 

 

Des  cheveux blonds. Blonds, longs  et  trempés  dans  le sang  de  leur  propriétaire, mélangé  à de  la  terre.

De grands yeux bleu vert ouverts, désormais et  à jamais aveugles…
Mer 14 mai 2008 Aucun commentaire